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L’amitié : prodigieuse énergie romanesque

Ben White 179058

Et si au lieu de lire des romans d'amour, nous lisions des romans d'amitié ? De fait, même si l'amitié très importante pour chacun d'entre nous, les romans d'amitié ne sont pas si nombreux ou du moins, ils ne sont pas valorisés comme tel. Et pourtant quoi de plus flamboyant que le sentiment amical, par sa pureté, par sa beauté, mais aussi parfois par son déraillement. Ernest est allé enquêté sur les entrailles de l'amitié en littérature.

« Avoir un bon copain 
Voilà c'qui y a d'meilleur au monde 
Oui, car, un bon copain 
C'est plus fidèle qu'une blonde 
Unis main dans la main 
à chaque seconde
On rit de ses chagrins 
Quand on possède un bon copain » . Henri Garat

FERRANTE Elena COUV Le Nouveau Nom 2Dans une librairie, l'écriteau mentionnait :  "Friends - l’amitié dans la littérature anglo-saxonne".  L’amitié pour appâter le lecteur ? En voilà une idée étonnante ! Un peu plus tard, dans un rayon voisin le dernier tome de L’Amie prodigieuse, d'Elena Ferrante. Cette saga italienne, au succès tout aussi aussi prodigieux, brasse ce sentiment dans l’Italie d’après-guerre. Notable dans un paysage littéraire dans lequel l'amitié est perçue comme une pâlotte inclination entre deux personnes. Un type de relation tout juste bon pour nourrir les aventures du Club des Cinq. Moins sulfureux, moins passionnel et donc moins romanesque que la famille ou que l’amour. L’amour qui est considéré comme le sentiment suprême, la valeur étalon, portée à un niveau indépassable. Rien d’étonnant qu’il s’agisse certainement de la matière sentimentale qui a été la plus malaxée par les romanciers. Pourtant, il n'est pas rare que l’amitié transporte tout autant que l’amour. Voire davantage encore. A priori, désintéressée. Moins fracturable par la rivalité qu’au sein des fratries. Epargnée de l’incommensurable problématique du désir, source de déchirures au sein de tant de couples amoureux. Les amitiés sont-elles pour autant lisses ? Non car, comme l’amour, les amitiés suivent des trajectoires imprévisibles : elles se façonnent et nous façonnent, se brisent et nous brisent. Elles se tendent exagérément. Ou, au contraire, s’édulcorent jusqu’à en perdre toute saveur. Les amitiés sont également tourmentées par les époques qui les abritent.

Virginie Despentes, dans Vernon Subutex 3, estime que l’amitié requiert une exigence absolue. L’amour, à côté ? Une affaire de compromis et de séquencement du quotidien entre deux personnes. « L’important, c’est de ne pas s’acharner à chercher dans la vie de couple des choses qu’on ne trouvera jamais. Pour être heureux en amour, Loïc a compris depuis longtemps qu’il s’agit avant tout de se contenter de qu’on trouve sur la table ». A l’opposé, "l’amitié ne supporte aucun arrangement. Elle réclame l’entière sincérité des deux parties. Prendre une bière et faire trois blagues, on est toujours sûr d’y arriver. Mais rencontrer un interlocuteur avec qui on puisse vraiment discuter est quelque chose de rare," écrit Despentes.  C'est en particulier au carrefour de l’enfance et de l’adolescence que l'amitié occupe le plus beau terrain de jeu littéraire. A cet âge où l’on se construit, sans amis, on n’est rien. A l’école des sentiments, l’amitié est incontestablement la matière principale. L’imaginaire de l’amitié est infini, mais on a picoré quelques échantillons, essentiellement concentré sur l’éveil à ce sentiment. Ces amitiés évoquées, principalement masculines, soulignent qu’Elena Ferrante tire aussi son succès du comblement d’un manque : les auteurs ont souvent ignoré l’amitié au féminin. De fait, la littérature donne plusieurs facettes de ce sentiment. Comme dit la chanson "i get high with a little help" from my friends.

L’improbable amitié : quand les contraires se lient