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Luca Di Fulvio : “J’écris des romans pour raconter nos vies”

C’est en refermant le “Gang des rêves” – son premier roman traduit en Français – avec un sentiment de plénitude que l’on a su que Luca Di Fulvio était un grand écrivain. De ceux capables de nous faire passer du rire aux larmes en quelques pages. De ceux capable de créer des personnages qui marquent les esprits pour longtemps. De ceux dont on a envie de tout savoir. De ceux dont on a envie de faire partager les mots. Alors, évidemment, lorsque son second roman, “Les enfants de Venise”, est sorti chez Slatkine, nous avons profité d’un passage à Paris de Luca Di Fulvio pour aller à sa rencontre.

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Quand “Les enfants de Venise” est sorti. L’appréhension était là. Forcément. La peur d’être déçu par le nouvel opus de cet auteur qui nous avait donné tant de plaisir. Dès les premières pages du livre. Elle avait disparu, happés que nous étions par la nouvelle saga imaginée par Luca Di Fulvio. Les “Enfants de Venise” confirme que Di Fulvio est un raconteur d’histoires hors pair et qu’il a un don particulier pour créer des personnages fouillés et attachants. C’est avec l’envie d’échanger avec lui sur ses livres, les thèmes de ceux-ci, et aussi plus largement sur ce qui le meut que nous sommes partis le rencontrer. Ce fut un moment rare. Et, conseil de votre ami Ernest : si vous avez vent d’une dédicace de Di Fulvio pas loin de chez vous : foncez, vous passerez un moment unique !

Ernest : Comment pitchez-vous votre livre, « Les enfants de Venise », paru chez Slatkine ?

Luca di Fulvio : Le pitch ? On dit qu’il doit être bref… Du moins, c’est ce que disent les américains (rires). « Les enfants de Venise » , c’est la rencontre entre un jeune chrétien et une jeune juive qui vont lutter pour rompre les barrières religieuses. Cela au moment même où se construit le ghetto de Venise dans les années 1515.

Pourquoi ce choix d’avoir situé l’action du livre dans le passé, au moment de la Renaissance, avec des conflits religieux forts qui résonnent avec ceux d’aujourd’hui ?

Justement pour cela. La résonance. Car même si l’action se situe dans le passé ce sont des thèmes de notre monde actuel. Les difficultés entre les communautés et le retour du religieux comme moyen d’exclure l’autre sont l’un des problèmes fondamentaux aujourd’hui. Montrer ou rappeler à travers un roman que cela a existé par le passé, sous des formes diverses, revient aussi à nous amener à réfléchir sur aujourd’hui. Quelque soit la période de l’histoire, défendre sa culture c’est très important car c’est une valeur en soi, mais aller jusqu’à se refermer sur sa propre culture est une contre valeur dangereuse.
Ensuite, je trouve que la Renaissance a beaucoup de points communs avec aujourd’hui. A ceci près qu’à la Renaissance, l’homme est au centre de tout. Aujourd’hui moins. Alors, bien sûr, les conditions de vie étaient beaucoup plus rudes, mais l’espoir d’une vie meilleure existait et poussait à évoluer et grandir. Aujourd’hui, je ne le vois pas.

“Les difficultés entre les communautés et le retour du religieux comme moyen d’exclure l’autre sont l’un des problèmes fondamentaux aujourd’hui”

Déjà dans votre sublime précédent roman, le « Gang des rêves », vous nous plongiez dans le passé. Celui de l’immigration italienne à New York dans les années 20. Vous auriez pu être historien finalement ?

Couv Le Gang Des RevesPas vraiment non (rires). En réalité je pense que la seule similitude avec le « gang » c’est qu’il s’agit d’un roman d’apprentissage. J’aime parler des jeunes et je crois que c’est le moment de la vie où chacun d’entre nous se forme vraiment et où l’on devient qui l’on est. Pour moi, c’est la période de la vie la plus belle à raconter. Attention, je ne dis pas que j’ai envie de redevenir jeune, mais j’aime la jeunesse en ce qu’elle est un moment charnière et clé dans nos vies. Un point cardinal.
Ensuite, sur le fait d’aller dans le passé, j’ajouterais à ce que nous avons déjà dit que le passé est pratique. Si j’avais situé l’action à l’époque actuelle il y aurait un tas de diversions possibles (tel portable etc…) qui nous éloigneraient de l’essentiel, c’est-à-dire les émotions, et les sentiments. Alors que dans le passé personne ne pense à son nombril, à son téléphone ou que sais-je encore.

Comment avez-vous construit votre livre ? Les personnages, la documentation historique etc… ?

La documentation historique a été simple. De plus, je connais bien Venise car ma famille en est originaire. Aujourd’hui tu peux trouver des cartes de l’époque, avec les noms de rues, etc… Mais c’est ce que j’appelle une documentation stérilisée.  Dans un second temps tu lis sur l’époque, sur les habitants etc… Et là, la scénographie commence à se mettre en place. Par exemple, au départ, je ne pensais pas parler de la syphilis et à un certain moment j’ai été frappé par la similitude des propos tenus à l’époque pour la syphilis et ceux tenus dans les années 1980 au début du sida. Déjà, on  disait que c’était à cause de la corruption sexuelle des homos. Ce qui est frappant c’est qu’à 500 ans d’écart on dit les mêmes inepties !

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Cela veut-il dire que l’homme a toujours les mêmes réactions quelque soit l’époque ?

Peut-être. Toujours est-il que l’on ne grandit pas à la vitesse de notre technologie qui, elle, va à la vitesse de la lumière. Pourtant, et c’est tant mieux, nous le soir on va au théâtre voir Shakespeare car il nous émeut il parle de nous et on va voir les tragédies grecques qui, elles aussi, parlent de nous. Je crois que c’est cela le noyau dur de l’être humain. C’est cela que nous devons préserver. C’est ce que certains appellent l’âme et d’autres l’essence humaine. C’est la même chose. Au final, peu importe l’époque, ce que nous essayons de faire plus ou moins, c’est de trouver de nouveaux moyens d’exprimer, de contenir ou de représenter notre propre essence humaine.

Ce qui est frappant dans vos livres, c’est l’amour que vous portez à vos personnages et le soin que vous mettez à les construire. Cela vous permet de parler justement de l’essence humaine et de l’humanité…Le tout imbriqué avec la grande Histoire. C’est volontaire ?

Oui. C’est ce qui m’intéresse dans les romans. La plupart des romans historiques, ceux qui racontent l’Histoire, m’ennuient profondément. Je préfère lire un essai. J’aime les romans car ils parlent des gens. Dans les essais, on parle de Napoléon dans les romans on parle d’un soldat de Napoléon et c’est cela la différence. Et moi, je veux parler du soldat. Dans mes recherches historiques le plus intéressant je ne le trouve pas dans les essais mais dans les romans de cette époque car ils parlent des odeurs, des tissus, du prix du kg de pain etc… Ils racontent la vraie vie…

Selon vous, quelle est la définition de l’écrivain et quel est son rôle ?

Il y a différentes sortes d’écrivains. Au cours de ce dernier siècle sont apparus les écrivains intellos dont je ne fais pas partie. J’appartiens plutôt à la catégorie des conteurs d’histoires. Le conteur, c’est celui qui raconte des histoires qui sont déjà en nous.

Vous avez été auteur de théâtre. Quel est l’apport de cette écriture pour le roman ? Quelles sont les différences ?

Il y a des différences techniques, évidemment.  L’espace, le lieu etc… Et au théâtre le temps est limité. En moyenne, il y a deux

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Facétieux, Luca Di Fulvio.

heures pour exprimer ce que tu dois dire. D’où l’importance des dialogues. Au théâtre, c’est la parole qui compte. Le théâtre raconte ce qu’il arrive aux personnages grâce aux mots de ces mêmes protagonistes. A l’inverse, dans un roman tu prends la main du lecteur et tu l’emmènes se promener à Disneyland et tu peux aussi raconter ses pensées. C’est magique. Même le cinéma ne peut pas faire cela.

Vous nous “emmenez à Disneyland”, mais vous avez aussi dans vos livres de très nombreux dialogues savoureux. Cela c’est l’influence du théâtre, non ?

Le théâtre est parole et le dialogue est très important. Mais une fois écrit, ce dialogue doit pouvoir être dit par le comédien et fonctionner. Dans un livre, c’est la même chose.  Tu dois pouvoir lire les dialogues à haute voix et le lecteur doit y croire.

L’une des caractéristiques marquantes de vos livres ce sont aussi les personnages. Que ce soit Christmas dans le “Gang” ou ces deux jeunes dans “les Enfants de Venise”. Ils sont travaillés et fouillés. Surprenants aussi.

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Le bureau de Luca Di Fulvio. En exclu sur Ernest.

En fait je n’ai pas de méthode. Il n’y a pas de règles. Il faut seulement lire et lire. Beaucoup. Il y a beaucoup de gens qui veulent écrire mais qui lisent peu….. dans ce cas c’est idiot car si tu n’aimes pas lire ton seul but égocentrique c’est d’être lu.
En fait, l’écriture nait parce que tu veux lire. Mais fermons la parenthèse. Mes personnages naissent très souvent sans ce que je sache comment ce sont des suggestions qui viennent petit à petit. Pourquoi un italien et une juive ? Je suis italien et d’origine juive. La culture juive est importante et intéressante. Je fais partie de ces familles juives qui sont devenues italiennes qui ne sont pas restées refermées sur leur communauté. J’aime raconter ce qui est politiquement incorrect du point de vue de la communauté juive. On ne dit pas, par exemple, que la mafia new-yorkaise, celle qui fonctionnait était juive. On ne dit pas par exemple que les juifs new-yorkais de l’ouest riches industriels dans le secteur textile exploitaient les juifs qui habitaient à l’est de la ville. Par exemple, Isaac est un escroc comme l’est Mercurio mais il se met à soigner les prostituées et la communauté juive est préoccupée par ce scandale. Ce qui m’intéresse ce n’est pas de dire qu’ils sont dans l’erreur en se refermant. Mon but c’est de dire que les communautés qui se referment peuvent devenir vieilles. Je connais des juifs pratiquants mais qui ne sont pas fermés aux autres. Ils vont se marier entre eux non par devoir mais parce qu’ils se ressemblent. C’est une profonde différence.

L’autre grand thème de vos livres, c’est l’amour… Il y a vraiment encore des choses à écrire sur l’amour ?

Je ne veux pas être trop mielleux. Mais j’adore ce sentiment. L’amour est un mot plus ample que celui que l’on utilise normalement. L’amour, c’est avoir un rapport avec la nature et la respecter avoir un rapport avec le problème de l’immigration qui existe actuellement et le respecter. L’amour c’est un état d’âme, c’est une attitude qui est faite d’accueil et dans laquelle on accepte l’autre sans se transformer. Ensemble on forme quelque chose et cela peut arriver même avec les arbres j’adore la montagne et quand je suis en montagne j’éprouve de l’amour pour la nature. Bien sur, c’est plus simple de raconter l’amour entre un homme et une femme…(rires)

L’amour peut-il aider à rompre les barrières entre les communautés ?

Je vais donner 2 exemples forts. Mon frère à l’âge de 20 ans est tombé amoureux d’une juive orthodoxe …..Ils s’aimaient. Le père de la jeune fille lui a dit un jour si tu restes avec lui tu es morte pour moi. Ils se sont quittés. Je suis sûr qu’ils en souffrent tous les deux encore aujourd’hui.
D’un autre côté, j’ai un ami nommé Sermoneta nom typiquement juif italien, il a épousé une catholique et a eu 2 filles. L’une a fait la démarche de se convertir au judaïsme. L’autre non. Elles est athée. Ce qui me plaît dans cette histoire, c’est qu’elle a choisi cette religion et qu’elle saura raconter l’histoire juive. Chacune sera différente au monde. Le libre choix est très important à mon avis. Cela est question d’amour. L’amour peut faire bouger les barrières.

Question très différente, mais pouvez-vous nous expliquez pourquoi vous êtes édités en édition originale par un éditeur allemand et non italien ?

Et oui, c’est complètement fou, non ?  Pour le « Gang »,  j’étais au départ chez un éditeur italien, Mondadori. Je l’ai relancé souvent. Je n’ai jamais eu de réponses. Puis j’ai eu l’opportunité de faire éditer ce livre en Allemagne. Les Allemands le voulait. ça a été un immense succès là-bas. Alors, j’ écris en italien, je suis traduis en allemand et je suis revendu en Italie. Ce sont les mystères de l’édition ! Depuis « Le nom de la rose » d’Umberto Ecco, je suis l’italien qui a vendu les plus de livre en Allemagne mais cela n’intéresse aucun journaliste italien. Avant les journaux étaient des guides pour lire. Maintenant, c’est hallucinant, les journalistes fonctionnent uniquement sur les scoops et les coups éditoriaux. Si tu découvres un livre six mois après sa publication, tu n’écris rien parce que c’est soit-disant trop tard. Je ne comprends pas cette logique !

“Les librairies sont fondamentales, elles créent les lecteurs et savent ce que chacun aime. C’est indispensable”

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Luca Di Fulvio venu dire bonjour sur le stand Ernest lors de Saint-Maur en Poche. Ici, avec David Medioni

En France, les libraires ont fait le succès du « Gang des rêves ». Ce sont eux qui ont porté le livre. Longtemps avant le relais des médias…

Quand Slatkine m’a parlé d’Ernest et m’a décrit ce projet et cette volonté de défendre les librairies indépendantes, j’ai tout de suite eu envie de faire cet entretien. D’abord parce que j’aimais le projet, mais aussi et surtout parce que les petites librairies sont fondamentales.  Ce sont ces libraires qui te connaissent, qui te disent « c’est un livre pour toi » car ils savent qui tu es après, bien sûr, tu aimes ou non. Cette relation est essentielle. Quand tu rentres dans des grands magasins, si tu ne sais pas quoi lire, ils ne te parlent que des nouveautés. Résultat : tu ne pourras jamais rien découvrir. Les petites librairies, elles, créent les lecteurs et les auteurs.

Quels sont les écrivains qui t’ont donné l’amour des livres et de la lecture ?

EtrangercamusIl y en a beaucoup. Surtout qu’il y a des écrivains marquants à chaque âge période de la vie. Jack London m’a Croc Blancouvert le cœur puis juste après il y a eu « le vieil homme et la mer » d’Hemingway. Puis j’ai commencé Thomas Mann, Flaubert, Dickens, avant d’arriver à Faulkner et Garcia Marquez qui m’a vraiment fait réfléchir. J’ai une seule culpabilité : celle de ne pas réussir à entrer en communication avec les auteurs russes. Enfin, L’étranger de Camus est pour moi un chef d’œuvre absolu comme “Leviathan” de Julien Green. Au final tout cela s’ajoute. Tout cela me constitue.

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Au fond, je crois qu’il y a  2 types de lecteurs. L’archiviste et le boulimique. L’archiviste est studieux. Il se souvient de tout. Je ne suis pas comme cela. Je suis un boulimique des livres. Je les mange, je les dévore et à un moment je commence à digérer et ils deviennent une part de moi. A tel point que je serai peut-être un jour accusé de plagiat car j’aurais écrit une histoire qui a déjà été écrite. Car je l’aurais complètement assimilée et qu’elle ferait complètement partie de moi.

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