Qu’est devenue la langue politique ? Est-elle encore performative ? A-t-elle évolué ? Des questions que Paul Klotz aborde avec acuité dans sa chronique du mois.
Par Paul Klotz
Quel est le sens de la parole en politique ? La question est importante, particulièrement lorsqu’elle interroge la vocation des discours contemporains, malmenés sous le vocable englobant « d’éléments de langage ». N’importe quel auditeur me paraît devoir être frappé, en effet, de la transformation des modalités de la parole politique. On assiste, depuis Valéry Giscard d’Estaing probablement, à une professionnalisation à outrance de la communication et du langage, si bien que semble se développer, sur tous les fronts de l’activité humaine, un art de la recherche de mots à la fois vides et larges, creux et lourds de sens, permettant au dirigeant de faire rêver autant que d’intégralement se dédouaner.
Ce mouvement de fond, que je n’hésite pas à qualifier de grande œuvre de dévitalisation politique de la société, a connu une accélération soudaine avec l’avènement du Macronisme. Il ne faut pas s’y tromper : nul n’a jamais changé le monde en invoquant la « résilience » de l’économie ou du peuple français ; prétendre vouloir « agir en responsabilité » n’est jamais un moyen subtil et intelligent de disqualifier ses oppositions ; se revendiquer du « camp de la raison » ne suffit pas à adopter des mesures pertinentes pour l’intérêt général.
Finalement, certains « mot-valise », à l’image de « l’arc républicain », dont les disqualifications sont à géométrie variable, ou encore de « l’autonomie stratégique », sorte de souveraineté sans souverainisme, perdent davantage les citoyens qu’ils ne les orientent vers des doctrines politiques claires. Pour quels résultats ? En arrière plan, la montée du RN qui, par un discours simple et populiste, nourrit l’illusion d’être intimement collé à la vie des gens.
Dans son excellent Jaurès en duel, récemment paru aux éditions du Bord de l’eau, Frédéric Potier donne à voir une tout autre image de la politique, celle du début du siècle passé où, pour une insulte trop rapidement lâchée, Jaurès et Déroulède se battaient en duel. Les mots étaient alors la matière première de l’industrie politique ; elles valaient les actes, car, en démocratie, le responsable politique est comptable de sa parole ; il est tenu par elle : en sa voix résonne celle de ses électeurs. Défendre un usage précis des mots, une revalorisation des concepts à l’aune de leurs héritages historique et politique, c’est précisément s’opposer à la constitution d’une classe politique aristocratique qui ne parlerait que son propre dialecte. Sous prétexte de rompre avec l’intellectualisme, la politique hermétise ; il faudrait au contraire qu’elle ne renonce jamais à l’éducation aux idées.
Il est à craindre que l’émergence d’un vocabulaire nouveau, que l’on pourrait qualifier de para-politique, composé de « réformes d’ampleur », d’inversion de la « courbe du chômage », de « process gagnant-gagnant », ait transformé la langue méridionale de Gambetta ou de Jaurès en une langue morte d’experts-comptables. A l’écoute de certaines phrases, la décision publique semble n’être plus qu’un fait managérial comme un autre ; comme une entreprise, l’Etat obéirait à un impératif de performance interne avant de devoir garantir, extérieurement, le bien commun.
Cioran, des profondeurs de son angoisse existentielle, avait dégagé cette intuition dans Histoire et Utopie (1960) : « Quelle malédiction a frappé l’Occident pour qu’au terme de son essor il ne produise que ces hommes d’affaires, ces épiciers, ces combinards aux regards nuls et aux sourires atrophiés, que l’on rencontre partout, en Italie comme en France, en Angleterre de même qu’en Allemagne ? ».
Avec un peu moins de drame, et un peu plus de rigueur scientifique, l’historien Christian Delporte s’est penché sur l’appauvrissement du langage politique au cours des dernières années, dans Une histoire de la langue de bois (2009). Il identifie, notamment pour la gauche, que « le PS ne parle plus depuis longtemps des ouvriers, ni même des travailleurs, mais des salariés noyés dans le grand ensemble flou des classes moyennes ». De la même manière, dit-il, « se réfugier derrière des mots techniques et pragmatiques est une réaction hélas assez classique par gros temps économique ».
De ce constat aux causes multiples, nous dégageons une perspective : il faut une révolution des discours politiques. Dans un appel à tous les communicants, conseillers politiques et élus, formulons un souhait : celui de parler avec des mots qui ont du sens ; soyons capable de courir le risque du clivage, de retrouver la saveur du débat, en osant des mots crus, durs, joyeux, vivants, intimes, vibrants, doux, tranquilles, colériques, sympathiques, empathiques, silencieux parfois, réels, exacts et précis !
Photo de Une : Capture d’écran conférence de Presse Emmanuel Macron, Sorbonne, avril 2024.
« S’opposer à la constitution d’une classe politique aristocratique qui ne parlerait que son dialecte »
« Une langue morte d’experts comptables «
Merci, c’est bien dit mais que croient-ils ?……. nous ne sommes pas dupes, pas tous en tous cas, trop peu peut-être.
J’ai toujours grand plaisir à vous lire, merci encore