Dans sa rubrique "Regards d'Amérique", Cécile Péronnet se plonge avec délectation dans le dernier (dans les deux sens du terme) roman de Paul Auster "Baumgartner". Reflets d'une Amérique à la dérive, mais reflet, aussi d'un homme et de ses accomplissements au crépuscule de sa vie. Superbe.
Dans ce roman testamentaire dont se dégage une lumière de fin d’été, Paul Auster raconte le deuil de Sy Baumgartner, soixante-huit ans. Dix ans plus tôt, celui-ci a perdu celle qu’il aimait, Anna, une femme de lettres dont il chérit les écrits demeurés intacts dans son bureau.
Peu à peu, les phrases élancées – subtilement traduites par Anne-Laure Tissut –, reflets de la lenteur des premières pages et de l’âge avançant du héros, s’effacent momentanément tandis que se révèlent ici et là des bribes des œuvres d’Anna. Elle y raconte notamment des pans de sa jeunesse, son désir de rompre avec la richesse de ses parents à la fin des années 1960, une ère où le « roi dollar » a pourtant la cote, dix ans avant que Donald Trump n’acquière ce qui est désormais connu comme la Trump Tower – sa saisie vient d’ailleurs d’être évitée grâce au dépôt d’une garantie qui permet au candidat républicain de faire appel de sa condamnation pour fraude financière [1].
Ces récits dans le récit sont rejoints par les souvenirs de Baumgartner qui se replonge dans son passé, celui qu’il a connu et celui qui lui est antérieur. La famille de son père est arrivée de Pologne un siècle plus tôt et sa mère est née d’un homme originaire d’une ville ukrainienne qui a aussi été soviétique, allemande et polonaise au fil des ans – un moyen pour l’auteur de glisser quelques discrètes allusions au multiculturalisme de la zone bordant la frontière russo-ukrainienne actuelle.
En racontant une partie de l’histoire de ce couple d’un autre temps, Paul Auster brouille comme souvent les pistes quant aux côtés autobiographiques de son œuvre et insiste sur le melting-pot états-unien. Au-delà des mœurs judéo-américaines qui transparaissent dans ces anecdotes façon Philip Roth aux teintes surannées, il convoque aussi dès les premières lignes la señorita Flores, femme de ménage minutieuse à la présence solaire dont le héros ne peut se passer, et un électricien sauveur, Ed Papadopoulos, personnages dont les noms laissent peu de place au doute quant à leurs origines qui elles aussi soulignent le multiculturalisme.
Rappelons que Paul Auster dénonçait déjà les dangers de la politique migratoire de Donald Trump lors de son premier mandat [2]. Un pied de nez des écrivains « de gauche plutôt que d’extrême gauche » [3] est donc bienvenu d’autant qu’en 2024, de nouveau, l’homme providentiel des Républicains fait de ce sujet son cheval de bataille pour l’élection à venir et tâche d’empêcher Joe Biden de durcir ses positions quant à l’immigration illégale – toute débâcle démocrate servira à renforcer sa base électorale. [4]
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