Et alors, il vaut quoi le dernier Paul Auster ? Faut-il se fader ces 1024 pages ? Est-ce aussi bon que la presse le dit ? Ce nouveau livre de Paul Auster est un régal. Pour tous les lecteurs. On vous explique pourquoi !
1024 pages, 1,1 kilogramme, 28 euros, 4 histoires en une, 15 personnages mélangés. La litanie de ces chiffres fait forcément peur à tout être normalement constitué. Aussi, cet être normalement constitué se retrouvant dans sa librairie favorite devant le dernier roman de Paul Auster « 4321 » sera forcément tenté de le laisser de côté, de se dire que cela n’est pas pour lui, qu’il attendra la parution en poche ou que de toutes les façons les derniers romans de l’auteur américain n’étaient pas à la hauteur. Cet être normal aurait raison dans l’absolu. Et pourtant, s’il écoutait sa raison, il aurait tort.
Le dernier livre de Paul Auster est vertigineux, époustouflant, phénoménal, puissant, génial, renversant, agaçant, brillant et surtout inoubliable. Mieux encore, ce roman (ou devrions-nous dire ces romans ?) donne un violent coup de vieux à tous les livres qui s’essayent – parfois avec succès – au « What if », à la dystopie, à la fresque ou à la saga historique. Par son inventivité, « 4321 » balaye tout. Par sa puissance romanesque, il nous fait vivre les quatre vies d’Archie Ferguson. Chacune de ces vies est cousine, mais elle est différente. Un évènement, un grain de sable vient changer la mécanique. Ce grain de sable qui vient soit enrayer une dynamique, soit au contraire la bonifier en la faisant aller plus vite. C’est exactement ce qui arrive aux quatre Ferguson que Paul Auster nous présente. Ou plutôt aux quatre facettes et aux quatre vies d’un seul et même homme : Archie Ferguson.
A l’instar des auteurs d’uchronie (ces romans où l’Histoire telle que nous la connaissons est modifiée par un seul événement différent du cours réel des choses), Paul Auster a choisi plusieurs moments pivots afin de bien montrer comment les quatre existences possibles auraient pu basculer. Outre ce « jeu des 7 erreurs » littéraires qui fait avancer le récit d’un pôle à l’autre, ce sont bien entendu les invariants et la façon dont le héros va se positionner par rapport à eux qui font le sel de ce livre. Car dans chaque situation telle qu’aurait pu les vivre Archie apparaît Amy Schneidermann. Amie, petite amie ou voisine… Et la jeune femme nous semble devenir l’un des personnages les plus importants de cette partition soignée.
Cette description brève de la richesse du livre d’Auster oublie toutefois une chose essentielle : contrairement à son apparente complexité, contrairement à sa densité effrayante, contrairement à son poids et son prix, « 4321 » est le roman de tous les lecteurs. Les débutants, les juniors, les confirmés et les seniors. Celui ou celle qui vous dirait le contraire est un imposteur. Tout simplement.
4 – Le roman des débutants
Heureux débutants lecteurs que vous êtes, heureux débutants découvreurs de Paul Auster. Dans « 4321 », vous avez l’ensemble des préoccupations humaines : l’amour, la mort, la réussite, la passion déçue, l’Histoire qui influe sur votre histoire etc…Un concentré de tous les thèmes de la littérature mondiale en un seul livre. Mieux, vous avez aussi tous les thèmes chers à Paul Auster : le hasard, la chance, l’importance de l’infiniment petit dans la marche de l’infiniment grand. Enfin, si d’aventure les arguments qui précèdent n’emportent pas la mise, dites-vous que « 4321 » est un jeu de pistes. Un roman noir. Une enquête dans laquelle Auster prend un malin plaisir à dissimuler des preuves qu’il vous faudra retrouver avant la page 1004. Ce roman c’est le 24h Chrono de la littérature. N’hésitez plus.
3 – Le roman des lecteurs juniors
Tels les lecteurs débutants, vous êtes – un peu – effrayés par la taille du livre. Par son apparente complexité, par son côté qui peut apparaître comme verbeux et un poil agaçant. « Ce n’est pas pour moi », vous dites-vous. Erreur. Au contraire, ce « 4321 » de Paul Auster est une pépite. Une pépite qui recèle 4 livres en un et qui, surtout, va vous permettre d’aller plus loin encore dans votre soif de lecture. Quand vous aurez lu ce livre, que vous l’aurez aimé, alors plus rien ne vous fera peur et vous vous surprendrez à vous dire que vous pouvez attaquer dès demain « Crime et Chatiment » ! Plus sérieusement, la narration de ce roman – si elle peut sembler compliquée – est étonnamment simple. Sa construction également. Ces 1000 pages se lisent sans effort. Vous êtes Ferguson : le 1, le 2, le 3 ou le 4. Peu importe. Les similitudes sont là. Les différences aussi. Vous êtes dans un jeu de piste. Amusez-vous.
2 – Le roman des lecteurs confirmés
Évidemment, vous n’attendiez plus grand chose de Paul Auster. Sept ans que l’auteur de « La Trilogie New Yorkaise » du « voyage d’Anna Blume », et de la « Musique du Hasard » n’avait pas publié de fiction. Son dernier roman « Sunset Park » vous a ennuyé mais vous l’avez poliment terminé par égard à ce grand Paul Auster qui décidément n’était plus vraiment au niveau. Forcément, devant « 4321 », vous hésitez. Vous vous dites que votre Paul Auster est peut-être de retour. Vous vous méfiez quelque peu de la presse dithyrambique. Vous avez tort. Jetez vous à l’eau. Auster est de retour. Tel un vieil ami dont vous ne compreniez plus vraiment les choix de vie, mais qui d’un coup, avec un feu de cheminée et quelques blagues redevient le confident, l’ami chéri. C’est exactement l’effet que produira sur vous ce « 4321 ». Vous vous y plongerez pour écouter la voix d’Auster vous raconter des histoires toutes plus intenses les unes que les autres. Vous prendrez du plaisir à vous confronter à nouveau à cette musique du hasard qui guide – en partie – les quatre vies d’Archie Ferguson. Un régal !
1 – Le roman des lecteurs seniors
Comme les lecteurs confirmés, vous hésitez. Mais vous êtes de ceux à qui rien ne fait peur. Vous aimez les défis. Dévorer ces 1020 pages de Auster sera pour vous une partie de plaisir. Vous vous surprendrez à tenter de voir si Auster tient vraiment ces quatre scénarii avec cohérence. Vous regarderez si, oui ou non, ces quatre Ferguson sont si différents que ça. Vous vous émerveillerez sur la construction des phrases, sur l’art du récit alternant avec une science réelle les accélérations et les lenteurs, ou encore sur l’architecture globale de ce livre. Au final, vous, lecteurs seniors à qui on ne la fait pas et qui avez lu tout un tas de livres différents et originaux vous serez conquis par le souffle puissant de ce « 4321 ». Peut-être, le trouverez-vous un poil bavard, mais vous vous rendrez vite compte que c’est pour la bonne cause : celle des mots et de la fiction. Celle que vous adorez.
Au final, ces quatre lecteurs ne font qu’un : vous. En lisant « 4321 » vous serez tour à tour chacun de ces lecteurs. Et vous ressentirez une chose : un plaisir immense ! Régalez-vous.