« Je rêve d’un long rêve où chacun rêverait. Je ne sais ce que va devenir cette nouvelle entreprise de songes. Je rêve sur le bord du monde et de la nuit. (…) Qui est là? Ah très bien : faites entrer l’infini. » Ces mots d’Aragon ont cent ans. Ils datent de 1924, précisément. Ils portent l’empreinte d’une époque. Celle de la naissance du surréalisme, et de ce que ce mouvement artistique et philosophique défendait. Un réenchantement du monde par le rêve, par l’art et aussi par la fiction. Ces mots sont tirés d’un recueil de textes d’Aragon réédité par Seghers qui s’intitule « Une vague de rêves ».
Comme un fil tendu, lire ces mots quelques jours après avoir participé à une rencontre, à Paris, avec des survivants des attentats du 7 octobre au Festival Nova, et dans les mots qu’ils emploient se demander quels sont les rêves et les fictions artistiques qui les porteront à l’avenir. L’un d’entre eux confia à l’auteur de ces lignes : « J’ai du mal à lire et à rester concentré. Cela me manque ».
Se surprendre à lui dire de peut-être d’abord se plonger dans un roman graphique. C’est celui de Coco « Dessiner encore » qui a d’abord occupé la discussion puis celui de Catherine Meurisse « La légèreté ». D’un monde à l’autre, d’une douleur à l’autre, et d’une renaissance à une autre. « Je rêve d’un long rêve où chacun rêverait », écrit Aragon.
Relire cette phrase. Songer à Gary. Et notamment à ce téléfilm magnifique qui sera diffusé sur France 2 le lundi 12 février (notez vraiment la date, vous ne le regretterez pas) signé par les talentueux François-Henri Désérable et Maria Pourchet qui narre ce moment où las de l’image qu’on a collé sur lui, Romain Gary se transforme en Emile Ajar, sort d’abord Gros-Câlin puis « La vie devant soi » qui obtient en 1975 le Prix Goncourt.
Dans ce jeu de miroir, ce que défend Gary (et cela est magnifiquement montré dans le film) c’est l’idée que la fiction et les écrivains s’ils ont un rôle et un seul, c’est celui de réenchanter le monde. De permettre aux lecteurs et aux lectrices d’avoir leur vie devant eux. Cela grâce à leurs mots et leur imagination. Pour que les lecteurs et les lectrices ne croient qu’à leur propre puissance, celle du cœur et de l’imagination.
Dans le télescopage des pensées de la semaine, ce cruel besoin de récit, de fiction pour supporter l’époque. « Rêver d’un rêve où chacun rêverait ». « You may say i’m a dreamer », chantait Lennon. Peut-être… Et si, on l’assumait, finalement ? Rêver pour construire. Rêver pour recréer du commun. Rêver que la vague remplace l’écume. Rêver pour enclencher le voyage nouveau. Celui d’un amour. Celui d’une vie. Celui d’un pays.
« Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même… On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues… » écrit Joseph Kessel. Ouvrons les atlas de nos envies politiques, artistiques, personnelles et collectives. Seuls et ensemble. Et alors l’enchantement du voyage viendra. Pour le meilleur.
Bon dimanche,
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