24 décembre. Dans le train. Vous prendre au saut du lit, ou en pleine effervescence. Imaginer les doutes, les questions, le stress. Regarder les passagers autour. Ici, une famille avec des enfants en bas âge. Ils ont attrapé le train de façon un peu juste. Les poussettes, les biberons, les cinq bagages. Les cadeaux camouflés. Là une femme seule au bout du wagon. La cinquantaine. Déjà pimpante pour la soirée où elle se rend. Ici, des jeunes amoureux. Peut-être se rendent-ils, pour la première fois, dans la famille de l’un des deux pour Noël. Bécotage en règle.
Volupté des premiers instants d’un amour. Sourire. Se souvenir d’un Bordeaux-Paris où votre bouche et celle de votre aimée semblaient ne jamais vouloir se décoller. Se souvenir de l’adolescence, de l’âge de jeune adulte. Des émois qui reviennent, même adulte, alors que l’on ne les pensait plus possibles. Inattendus. Des chagrins aussi. Eux aussi, on les croyait disparus. Ils sont revenus. Ils sont là. Ils demeurent.
Au-delà de Noël, ce que la plupart des personnes de cette rame font en cette période de l’année c’est d’aller rejoindre toute ou partie de la famille. Nucléaire, recomposée, choisie ou que sais-je encore. Se laisser porter par le roulis du wagon et imaginer la famille comme une rame de train.
Y trouver le contrôleur. Il y en a toujours un ou une. Rappeler la loi et les manières. Contrôler que tout se passe bien. Être parfois incompris. Être parfois adoré pour l’incarnation de la règle et de l’esprit de la famille. Cherchez bien, il y en a forcément un ou une dans votre famille. Peut-être même, est-ce vous ?
Vous croiserez, aussi, dans les jours qui viennent le taciturne un peu relou. Celui ou celle qui comme dans les wagons de TGV ne veut jamais rien changer à ses habitudes. Ni changer de place, ni changer de chambre. Ni déplacer son bras de quelques centimètres sur l’accoudoir, ni envisager l’idée même qu’un plat habituel ne soit pas au rendez-vous de la fête. L’habitude, l’immuabilité des choses, c’est ce qui meut le taciturne un peu relou.
Le bruit vous réveille. Voire même, disons-le, vous dérange. Les bruyants du TGV, sans gêne, qui parlent fort au téléphone, qui mangent avec délectation, qui crient ou rigolent, ils sont aussi dans nos familles. Le bruit, c’est la vie. Ils bougent sans cesse, font mille choses à la fois, n’écoutent pas grand chose et s’étonnent lorsque vous leur demandez de baisser un peu le volume. Voir le sourire se dessiner. Ils sont partout, comme on dit. Dans toutes les familles.
Le voyage continue. La femme seule écrit des choses dans un carnet Moleskine.
Vous songez au passager clandestin présent dans chaque train. Celui qui est là sans être là. Et vous songez à votre famille. A ce cousin dont vous n’avez jamais vraiment compris pourquoi il continuait de venir avec ses parents lors de cette réunion familiale. Il ne se sent pas à sa place. Il n’aime pas les gens, ni manger. Mais il vient, avec son pull vert et rouge. Le même chaque année.
Vous regardez aussi ce passager qui fait tout pour se rendre intéressant. Il parle fort. Il rigole. Maniéré, il plie son joli manteau, il regarde ses chaussures, il vérifie que sa veste ne soit pas froissée. Vous le voyez, aussi, dans votre univers. Celui qui aime montrer sa voiture, mais ne pas la salir, qui parle de marques que vous en pouvez pas vous payer même en débloquant votre PEL, qui se demande comment il va « pouvoir arrêter de voyager » et qui trouve les « écolos quand même complètement intégristes ».
Soudain, des cris. Pas de ces cris des gens bruyants, non, des cris d’une altercation. Ils en ont parlé. Cela aussi, forcément, vous y ferez attention, mais le vieil oncle complotiste ou la mère impliquée dans les « parents vigilants » n’y tiendra pas. Ils souligneront que “personne n’a marché sur la Lune”, ou que “le grand remplacement” guette. Vous vous énerverez. Vous vous direz que vraiment “c’est la dernière année que vous acceptez de venir.”
Vous pourriez alors vous dire que vous allez descendre à la prochaine gare, prendre le train retour et passer du temps libre à Paris. Que vous allez enfin profiter du théâtre, du cinéma et des expos. Sans contraintes. Juste pour la recherche du beau et de la légèreté.
Et puis, comme dans le wagon, en famille, une alchimie inattendue peut se créer. Ici, cet enfant qui sautille de joie devant les cadeaux, là une femme qui a choisi des vins minutieusement pour régaler les papilles. Elle hésite encore entre « deux exquises bouteilles » qu’elle a « répertoriées dans sa cave ». Vous gouterez. Elle sera ravie de vous faire ce cadeau. Et vos sens le seront également.
Comme lorsque vous jetez un œil à vos voisins de TGV, et que vous vous demandez ce qui les anime, vous regarderez les membres de votre famille. Vous vous demanderez si untel va vraiment aussi bien qu’il le dit, ou si unetelle n’est pas en train de s’éloigner de son Jules. Vous regarderez les anciens en chérissant les instants passés avec eux. Vous vous regarderez aussi, dans le miroir. Avez-vous grossi par rapport à l’an dernier ? Et ces envies, ces objectifs que vous vous étiez secrètement fixés, vous en êtes-où ?
Vous rigolerez de vous même, comme lorsque, dans le wagon, vous apercevez quelqu’un ou quelqu’une qui a les mêmes manies que vous quant au rangement des choses sur la tablette du train.
L’arrivée approche. Le trajet, comme l’année, est passé en coup de vent. Encore un trajet/année où l’on a pas vraiment pris le temps de voir les saisons s’écouler tranquillement. Sentiment de marcher à côté de la vie. Pas de repos pour les éternels insatisfaits. Attention à la récolte des regrets. « Aller me suffit », rappelle René Char.
Vivre, ici et maintenant, voilà peut-être la seule résolution qu’il sera possible de tenir. Essayer, du moins. Pour ne pas rater le train de la vie. Le sien, mais aussi celui de celles et ceux que l’on aime.
Bon dimanche, et joyeuse fin d’année
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