Depuis une semaine, chercher une idée de sujet pour disserter avec vous ce matin. Depuis une semaine se dire qu’il faudrait parler d’autre chose. Depuis, une semaine pourtant avoir la certitude que cela n’est pas possible de faire autrement. Attendre jusque dans la nuit. La dernière avant l’envoi de ce matin. Essayer autre chose. Et puis finalement non. Ce qu’il y a à dire est trop important. Trop essentiel. La submersion et l’importance sont trop grandes. Partager pour dire. Partager pour dézoomer. Partager pour transmettre une mémoire.
Dans son livre célèbre « Eichmann à Jérusalem » qui raconte le procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem après la seconde guerre mondiale, la philosophe Hannah Arendt forge aussi l’un des concepts philosophiques qui irriguent encore nos imaginaires : la banalité du mal. Dans l’observation qu’elle fait du nazi Eichmann, elle tire cette idée que la « banalité du mal » figure en chacun d’entre nous et qu’elle peut éclore lorsque les conditions de son explosion sont réunies : en l’occurrence l’autorité et les ordres au cœur de la mise en musique de la barbarie nazie.
Vous vous étonnerez peut-être de cette introduction dominicale, chers amis, mais lundi 13 novembre, avec d’autres journalistes et des historiens, j’ai assisté à la projection des crimes du Hamas le 7 octobre dernier en Israël. J’ai vu la jouissance de tuer. J’ai vu la jouissance dans les yeux des tueurs.
Aucune trace d’un doute. Aucune trace d’une émotion. Si ce n’est la joie de tuer au nom d’Allah. Joie de massacrer et mutiler. La barbarie du Hamas est chimiquement pure. Ils aiment la mort autant que nous aimons la vie.
Dans ces images d’une violence indicible, percevoir la puissance d’une haine, l’amour du sang, et du meurtre qui est inculqué par les chefs du Hamas à leurs troupes. “Décapitez-le, je veux voir les enfants jouer avec sa tête sur la place du village” dit l’un des terroristes.
Je me souviendrai longtemps de ces enfants qui hurlent et qui pleurent leur père mort en les protégeant d’une grenade et qui voient l’un des terroristes venir se servir dans leur frigo sans un regard pour eux.
Je me souviendrai longtemps de cette mère qui au téléphone avec son fils terroriste qui se réjouit d’avoir tué des juifs l’enjoint de continuer à tuer. Je me souviendrai longtemps de ces tueurs qui vont au-delà de la mort en mutilant les corps. Je me souviendrai longtemps de cette passion des terroristes à tout brûler. Pour effacer leurs infamies. Avoir plusieurs fois détourné les yeux. Sortir de là avec une certitude. Ne jamais laisser une forme de négationnisme de ce qui s’est passé le 7 octobre s’installer.
Songer à Marceline Loridan-Ivens qui venait d’être arrêtée pour faits de résistance par la police française et dans la prison d’Avignon, a ramassé un caillou et a écrit sur le mur : “c’est presque une joie de savoir que l’on peut souffrir autant.” Songer aussi à Ety Hillesum. Se souvenir de ses mots. “Même si on ne nous laisse qu’une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d’elle il y aura toujours le ciel tout entier.”
Prendre conscience que nous sommes passés de la “banalité du mal” à la “jouissance du mal”. De ce que Arendt soulignait comme une banalité du mal, il demeure l’essence. Dans ce qu’il s’est passé le 7 octobre, il y a une jouissance orgasmique à tuer, à se filmer à le faire, et à le partager. Car, c’est aussi ce qu’il s’est passé.
Difficile, encore, de tirer les conséquences profondes de cela. Ce qui est certain, c’est que ce crime du 7 octobre ne ressemble à aucun autre et qu’il interrogera longtemps l’Humanité toute entière.
Avoir depuis en tête deux extraits de “Si c’est un homme” qui reviennent en tête. Celui-ci d’abord : « Je suis Juif parce que le sort a voulu que je naisse Juif . Je n’en rougis pas et je ne m’en glorifie pas . Etre Juif pour moi , c’est une question d'”identité”, une “identité” à laquelle , je dois le préciser , je n’ai pas l’intention de renoncer . »
Et celui-là qui nous donne la clé pour continuer, et surtout construire à nouveau : « Nous découvrons tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n’existe pas, mais bien peu sont ceux qui s’arrêtent à cette considération inverse qu’il n’y a pas non plus de malheur absolu. »
Et penser, aussi, à l’Affaire Homme de Romain Gary dans lequel, il écrivait : « La création est pour moi une défense contre le monde envahissant, écrasant, intolérable, et en même temps insuffisant, inadapté, mutilé profondément insatisfaisant. Le roman est une élimination de ce moment-là. C’est une création d’histoire en défense contre l’histoire. Le romancier élimine l’intolérable sous forme romanesque ».
Espérer des romans qui élimineront, le temps de quelques pages, l’intolérable.
Bon dimanche,
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