“Aimer c’est agir. “ Ce sont les derniers mots tracés par Victor Hugo quelques heures avant sa mort. Aimer pour agir. Aimer d’un amour fou la façon dont ces femmes et ces hommes en Iran se sont levés contre l’obscurantisme religieux, et l’oppression imbécile après la mort de Masha Amini, il y a un an. Et cet amour profond s’est traduit depuis un an par une effervescence artistique en Iran et au quatre coins du monde. L’art, les mots comme des armes. “Des armes, des chouettes, des brillantes”, écrivait le poète.
Les mots de ces Iraniennes emprisonnées ou militantes publiés respectivement dans Le Monde et dans le New York Times offrent une bouffée d’air frais, une bouffée de liberté. Ghazal, Parnian et Kimi ont entre 20 et 23 ans et ont tenu entre mars et mai 2023 un journal intime de la révolution que le New York Times a publié cette semaine. L’espoir, l’humour et la vague qui s’est levé ne s’arrêtera plus jamais.
Cela prendra encore du temps, mais les Mollahs ne sortiront pas vainqueurs. La République islamique d’Iran peut mater la révolte dans la rue, mais ne peut rien contre l’aspiration à la liberté, ni contre le courage, qui est contagieux. Un jour, le régime des mollahs tombera sur fond de musique joyeuse. Tout cela est contenu dans les mots des trois jeunes femmes. “Les gens boycottent les boutiques qui ne servent pas les femmes non voilées. Le peuple a repris la main”, écrit l’une d’elle. “En voyant ce visage, ce regard sévère et ce monument de bêtise sanglé dans cet uniforme j’ai eu envie de pouffer”, s’amuse Parnian. “J’ai vu un joli tag aujourd’hui qui disait : va de l’avant, mais n’oublie pas et en dessous le hastag #Masha Amini”, note Ghazal. Force, sagesse et beauté de ces femmes et de ces hommes qui savent qu’un jour, ils remporteront le combat.
Dans Le Monde ce sont les mots des prisonniers et des prisonnières du régime qui ont été publiés. Elles racontent les arrestations, l’arbitraire, les tortures, les conditions de détention, les disparitions, les meurtres. Elles disent dans les mots les plus simples qu’elles ne cèderont rien de leur combat pour la liberté, la justice, l’égalité. Elle seront debout jusqu’à la victoire. Elles sont en prison. D’autres sont toujours dans la rue et sur les réseaux sociaux où elles chantent l’hymne de cette révolution « Barayé ».
Lisons les paroles : « pour danser dans la rue / pour la peur d’un baiser / pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs / pour démoniser les cerveaux / pour la honte d’être pauvre / pour une vie ordinaire / pour les rêves des enfants des rues … ».
Marjane Satrapi, l’autrice de Persépolis, vient d’en tirer un clip ainsi qu’un ouvrage superbe qui se présente sous la forme d’un cahier dessiné avec les croquis de différents artistes. Femme vie Liberté. Liberté égalité Fraternité. Leur combat est le nôtre.
Les mots qu’elles portent sont les nôtres. Pour vivre. Pour aimer et donc pour agir. Mehdi Yarrahi a été arrêté le 28 août dernier pour avoir composé des chansons en soutien aux soulèvements. Les femmes iraniennes s’en saisissent et en font des hymnes qu’elles font tourner sur les réseaux.
Les Mollahs sont cernés. L’art, la force, l’humour, la sagesse de ce mouvement aura raison de leur ignominie. C’est une certitude. Les podcasts, ceux d’Anahid Djalalli, par exemple sont aussi des lieux de résistance, de création et où des mots qui construisent l’avenir sont prononcés. Songer, évidemment, aussi au livre magnifique de François-Henri Désérable “L’usure d’un monde” qui raconte ce pays en train de muter, de changer, et ce régime qui quoi qu’il arrive est condamné.
Songer aussi à ce roman magnifique, “Lire Lolita à Téhéran” de Azar Nafisi et à ces mots qui, entre de nombreux autres mots indispensables, y sont tracés. “Je rêve souvent qu’un nouvel amendement a été ajouté à la Constitution, celui du libre accès à l’imagination. J’en suis arrivée à croire que la vraie démocratie n’existe pas sans la liberté d’imagination et le droit d’utiliser ses œuvres en l’absence de toute restriction. Pour avoir une vie pleine, chacun devrait pouvoir façonner et exprimer ses mondes, ses rêves, ses idées et ses aspirations devant les autres, participer constamment à un dialogue qui s’établirait entre domaines public et privé. Comment savoir autrement que nous avons existé, ressenti, désiré, haï et craint ?”
L’imagination est là. Elle terrassera l’infâme régime des Mollahs, elles terrassera la bêtise de ceux qui ailleurs dans le monde soutiennent le mouvement sans appliquer la soif de liberté des Iraniennes à leur propre pays, elle terrassera, enfin, l’obscurantisme religieux qui de tout temps, en tout lieu, et quelque soit le Dieu a toujours été une source d’oppression et de défaite pour l’Humanité.
Des mots ? Peut-être. “Les mots sont les seuls vainqueurs”, écrit Rushdie dans son dernier roman. Les mots sont les seuls vainqueurs. En France, aux États-Unis, en Afrique, ou en Iran.
Sur les dômes des mosquées
Sur les turbans des mollahs
Sur les barreaux des prisons
Sur le drapeau de l’Iran
Sur les cyprès millénaires
Sur les tombes des poètes
Sur les portes des bazars
Sur les dunes du désert
Sur les voiles embrasés
Sur la peur abandonnée
Sur la lutte retrouvée
Et sur l’espoir revenu
Femme
Vie
Liberté
Bon dimanche
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