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BD de toujours #6 – Persepolis

Persepolis Couv

BD de Toujours est de retour. L'épisode 6 nous plonge dans la découverte d'une BD essentielle signée Marjane Satrapi. Florian Ferry-Puymoyen nous raconte comment son regard sur cette œuvre a évolué. Il raconte aussi comment Persepolis est symbolique de la "nouvelle bande dessinée". Passionnant.

J’avais découvert Persepolis à sa sortie, au début des années 2000. C’était alors une claque : une histoire forte mêlant souvenirs personnels et histoire contemporaine d’un pays, l’Iran, que je ne connaissais guère. La vision qu’en apportait Marjane Satrapi était alors exactement le récit que j’attendais de lire sans le savoir : la Révolution islamique vue par une enfant décidée, élevée par des parents aimants, intellectuels et progressistes. Après m’être renseigné un peu sur l’Iran, je voulus alors recouper le récit de Marjane Satrapi avec l’histoire de l’Iran, à commencer par cet arrière-grand-père empereur renversé par Reza Khan. C’est alors que je réalisais que Persepolis, quoique témoignage poignant, n’était pas une œuvre d’historien.

Si le récit se présente comme une autobiographie, il s’agit, comme toujours, d’abord d’une fiction ; d’ailleurs n’est-ce pas le cas de toute autobiographie : une écriture de soi ? De fait, « Satrapi » est un pseudonyme, un « nom de scène » : les satrapies étaient des régions administratives perses mises en place par les Achéménides, fondateurs du premier empire perse.

Mais au moment où j’ai pris connaissance du caractère fictionnel, je dois confesser que le premier sentiment qui m’habitait était alors celui d’une trahison : si Marjane Satrapi (en tant qu’auteur) a menti sur cet arrière-grand-père, les émotions ressenties à la suite des aventures de Marjane Satrapi (le personnage, cette fois) étaient-elles authentiques ?

En fait, la question n’était pas vraiment là : qu’il s’agisse d’une fiction sur fond d’autobiographie ou d’un témoignage mis en scène en noir et blanc, l’essentiel est de ressentir des émotions puissantes et variées, des souvenirs forts de certaines planches/ scènes.

Et avec Persepolis, le plaisir est bien là car Marjane Satrapi est une formidable conteuse qui sait user d’humour et de distance.

Son propos est servi par une écriture graphique où la puissance des dessins épurés donne une toute autre dimension au discours.

Un style visuel maitrisé dès le premier tome

D’un point de vue stylistique, le dessin est minimaliste, à tendance symbolique, tout en noir et blanc. Ce dessin est simple mais efficace, au service d'une narration alternant moments intimes et affres de la guerre.

Visuellement, on pense à David B.* pour l’usage du noir et blanc en grands aplats ainsi que pour le trait simplifié. La principale différence graphique entre ces deux très grands auteurs vient du fait que le dessin de David B. est plus détaillé, là où Marjane Satrapi va davantage encore épurer le dessin.

* David B. partageait le même fameux « Atelier des Vosges » ; il aurait encouragé Marjane Satrapi à raconter son histoire en BD. C’est aussi lui qui signe la préface du tome 1.

Persepolis Incendie

Il s’agit aussi d’une écriture tout court : souvent l’épure visuelle est au service du texte, les deux se nourrissant l’un l’autre (tome 1, « La cellule d’eau ») :