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Ericka Bareigts : “Lire pour être emportée”

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Dans cette bibliothèque des politiques, Guillaume Gonin nous emmène en voyage littéraire, mais aussi vers l'Outre-Mer où il fut conseiller de son invitée du jour : Ericka Bareigts qui fut ministre des Outre-Mer lors de la présidence de François Hollande. Une rencontre pleine de rebondissements littéraires.

Photos Noémie LECAMPION

Où ailleurs ? Avec l’accord de son actuel résident, rendez-vous était pris au 27 rue Oudinot, à l’hôtel Montmorin. Son portique imposant, sa cour pavée et sa façade blanche virent défiler d’illustres locataires, tels Edouard Daladier et François Mitterrand, du temps où il s’appelait encore commissariat des Colonies. À l’intérieur, derrière une sublime Marianne ultramarine, les portraits des ministres des Outre-mer de la Vème République ornent le salon où patientent les invités. Sans surprise, la galerie est composée d’une majorité d’hommes blancs ; mais tout en bas, les traits se féminisent et se diversifient tout à coup. Parmi eux, notre invitée : petite, métisse, les cheveux courts, elle a l’œil alerte et malicieux des sous-estimés perpétuels, tant par la technostructure que les grands fauves politiques – et qui ont appris à en faire une force. Première femme réunionnaise ministre de la République, ancienne députée et actuelle maire de Saint-Denis-de-La-Réunion, elle s’illustra au Gouvernement en 2016 et 2017, faisant notamment face au mouvement social en Guyane, tandis que toutes les têtes étaient tournées vers l’élection présidentielle. J’eus alors la chance de l’accompagner comme conseiller. De cette période, les souvenirs se mélangent en un tourbillon qui se reforme en retrouvant ces lieux si familiers, les visages d’huissiers qui s’illuminent en revoyant « la ministre ». Oui, un huis-clos rue Oudinot était l’idéal pour une discussion avec Ericka Bareigts autour des livres et l’écriture, du temps qui passe et de ce qui reste.

* * *

Vous souvenez-vous de la dernière fois que nous nous trouvions dans ce salon ?

Ericka Bareigts : J’ai en mémoire les résultats de l’élection présidentielle, en 2017.

29Presque, vous pensez à l’avant-dernière fois. Il s’agissait de l’annonce de la composition du premier Gouvernement d’Emmanuel Macron, un peu plus tard … Nous attendions fébrilement de savoir si vous étiez, ou non, reconduite dans vos fonctions.

Ericka Bareigts : Ah ! C’est vrai. (Rires) Je ne savais pas vraiment si je le voulais ou non. Mais je ne le crois pas, en réalité. Sur le moment, on voulait tous continuer, parce que nous avions laissé des choses en suspens : des lois votées sans décret d’application, les accords en Polynésie, la situation des enfants de la Creuse, les accords en Guyane …

Tout était un peu en suspens, donc peut-être aurions-nous aimé continuer l’aventure. Mais c’était il y a longtemps, déjà. (Sourires)

Dans votre enfance, quelle place occupait les livres ?

Ericka Bareigts : C’est étonnant, ma mère me répétait souvent qu’elle lisait enfant. Mais il faut rappeler le contexte : elle est née en 1944, dans un coin très retiré de La Réunion, l’Entre-deux. C’était encore une colonie. Et elle m’a toujours raconté qu’elle aimait lire, enfant, à l’école … C’est en tout cas son souvenir ! Mais je n’ai jamais su ce qu’elle lisait. Car il n’y avait pas de bibliothèque dans le village, donc elle devait récupérer des romans dans les maisons bourgeoises, là où ma grand-mère faisait le ménage. Ma mère a conservé cette habitude, puisqu’elle lit toujours beaucoup aujourd’hui. Elle a toujours parlé de livres, ainsi l’ai-je toujours associée aux livres.

Et votre père ?

Ericka Bareigts : Il ne lisait pas. Il était professeur des écoles, pourtant. Je ne l’ai jamais vu lire. Mais j’ai grandi dans un environnement de livres. J’avais des caisses entières de livres, perdues depuis, parce que mes parents ont passé mon enfance à déménager. Tous les ans ! J’ai perdu ma bibliothèque rose, ma bibliothèque verte … J’avais toute une collection, les Oui-oui, les Alice, les Fantômette.

"J'ai perdu tous les livres de mon enfance"

Pourquoi tant de déménagements ?

Ericka Bareigts : Je ne sais pas. Ils avaient la bougeotte. Ils ne faisaient que déménager d’un quartier à l’autre de Saint-Denis, en plus : au Chaudron, Bas-de-la-Rivière, Bouvet, Vauban, Château Morange, Montgaillard, boulevard Lancastel … Pas mal, non ? Comme maire de la ville, quand je rencontre des habitants, j’ai toujours une histoire à raconter sur leur quartier. Avec le risque qu’ils se disent : « mais qu’elle est démago celle-là ! » (Rires) Reste que c’est comme ça que j’ai tout perdu, même celui qui m’était le plus cher de tous : « Le livre de la jungle ».

Pas un seul livre de votre enfance n’a survécu ?

Ericka Bareigts : Pas un seul. Plus rien. C’est un grand regret, vraiment. C’est pour cela que j’ai gardé tous les livres de mes filles, et que j’ai nettement moins déménagé, aussi. J’aurais tellement aimé leur en donner, leur en prêter, transmettre … J’avais tous les Astérix et Obélix, les Lucky Luke.

Aujourd’hui, vous êtes-vous rattrapée ?

Ericka Bareigts : Oui, j’ai de tout. J’ai reconstitué ce que j’ai pu de mon enfance. Mais quand je lis des entretiens, dont les tiens, de femmes et d’hommes politiques, parfois d’écrivains, on voit derrière elles et eux des bibliothèques bien rangées. Moi, c’est affreux ! Tout est mélangé, en désordre. Même moi, je ne sais plus qui est où. Mais j’aime les livres en désordre, qui vivent entassés. Un jour, je découvre un livre qui m’était inconnu ou oublié, et c’est un plaisir immense.