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Sexualité, j’écris ton nom

Vidar Nordli Mathisen F4OmS SluJc Unsplash

Les ricochets de la pensée prennent parfois des chemins étonnants. Alors que l’esprit revenait par le truchement de la vie à la beauté des “Quatre vies d’un amour” le roman de Mathieu Terrence dont nous vous parlions (ici), il s’est attardé, d’abord, sur le narrateur et Ariane, sa chérie, dont l’ensemble de l’histoire le subjugue toujours et dont il souhaite à chacun et à chacune des lecteurs et lectrices du fond du lit de vivre un dixième de la beauté qu’ils inventèrent. Il a ensuite été attiré par les personnages secondaires du livre que sont Rilke, poète fantastique quelque peu oublié, et Lou-Andréas Salomé, celle qu’il aima et qui fit en partie de lui l’auteur qu’il est devenu. Femme inspirante, libre, qui épata aussi Nietzsche et Sigmund Freud, Salomé a notamment écrit sur l’importance de l’érotisme, sur l’égalité entre hommes et femmes dans la formulation du désir et dans le besoin du langage des corps. Bref, Lou-Andréas Salomé est l’une de ces figures féminines inspirantes que l’histoire a mis un peu sur le côté, et qu’il est puissant de découvrir ou de redécouvrir aujourd’hui. Ce dimanche, Lou-Andréas Salomé résonne avec les murmures du monde.

Des murmures qui charrient avec eux une musique qui, en résumé, invite les uns et les autres à la “grève du sexe”. La cheffe d’orchestre de cet opéra est Ovidie Raziel, essayiste et réalisatrice qui vient de publier “La chair est triste hélas” dans lequel elle raconte qu’elle a cessé d’avoir des rapports sexuels avec des hommes depuis quatre ans. Que cela ne lui manque pas et que, surtout, cela la rend plus heureuse. Dans les entretiens qu’elle donne autour du livre une antienne : “Ces hommes si nuls au lit. Tout ce temps gâché à donner du plaisir sans en prendre, ces nuits où je me suis ennuyée, où j’ai simulé, par politesse. Ces sacrifices pour rester cotée sur le marché de la baisabilité : les heures de cardio pour perdre du poids, les chaussures à talon, le maquillage, etc. Alors, j’ai arrêté. Désenchantée.
L’un des entretiens termine même par une forme d’appel plus ou moins provocateur : “Je vais finir au couvent. Ce n’est pas de la provocation. Je suis baptisée protestante, j’ai la foi, j’ai beaucoup de sympathie pour ces femmes joyeuses et leur modèle de vie en non-mixité. Et puis je mène déjà une vie de bonne sœur : j’ai changé d’identité et renoncé au sexe, au moins provisoirement. Alors.”

Bartleby du sexe

Pas de sexe, et de la religion. Voilà donc la solution proposée pour éviter les mauvaises expériences sexuelles. S’il ne nous appartient pas, ici, de juger des raisons de chacun et de chacune, il convient tout de même de dire que non, la chair n’est pas toujours triste. Que non, le rapport sexuel n’est pas uniquement un rapport de domination. Il convient de rappeler aussi à quel point la mise sous silence de la sexualité comme pratique mais aussi comme objet politique conduit toujours à des catastrophes. Dans ces mots prononcés par Ovidie, mais aussi par d’autres dans certaines franges du mouvement néo-féministe, une impression de retour d’une forme de puritanisme où chacun vivrait à l’abri dans sa bulle sans jamais se frotter à l’autre. Bartleby du sexe, en quelque sorte. “Je préfèrerais ne pas.”

Dans ce renoncement une forme de tristesse et la perte de l’envie de création et d’invention d’une autre sexualité. Justement en réinventant les modèles, en réapprenant à faire l’amour (nous avons déjà parlé ici du livre d’Alexandre Lacroix “apprendre à faire l’amour” qui est tout le contraire d’un renoncement, et l’auteur de ces lignes y a même consacré un acte entier de son “Éloge de la séduction”)
Et tandis que ces réflexions s’approfondissaient et qu’un sentiment de malaise s’installait, tomber sur le livre superbe de Barbara Carlotti “L’art et la manière” (Seuil) dans lequel l’autrice – en réaction à ce que #MeToo a engendré dans nos intimités – a eu envie non pas d’arrêter de faire l’amour, mais plutôt d’explorer les nouvelles écritures des désirs. Dans ce très beau recueil de nouvelles, Carlotti raconte les histoires de Rose, de Rebecca, de Sylvie ou encore de Virginie et ausculte à travers leurs histoires charnelles nos rapports sociaux. Parfois, l’extase est superbe et surgit, d’autres fois non. Comme dans la vie. Dans ces moments moins jolis, ce qui compte n’est pas de se retirer définitivement, mais plutôt de le savoir et de ne pas y revenir pour finalement en souffrir. Dans ces nouvelles, la beauté du désir, sa complexité, sa douceur, sa volupté et sa force. On pense à Anaïs Nin, à Virginia Woolf. Mieux, Carlotti démontre pleinement et avec force que la sexualité fait partie intégrante de nos vies. Elle imagine tout et rien n’est honteux.

Comme si un fil était tiré entre Lou-Andréas Salomé et Barbara Carlotti. Ce fil qui fait de la sensualité, de la sexualité égalitaire, du langage de la chair, une esthétique, mais aussi une recherche de la liberté. Sexualité, j’écris ton nom pourrait-on tracer ici.

Et par le pouvoir d’un regard
Je savoure tout de toi
Érotisme
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Sexualité, j’écris ton nom.

Je l’écris, non pas dans la grève, mais dans l’éducation, l’apprentissage et le partage, dans l’abandon des rôles prédéfinis.

Et puis si d’aventure on trouvait cela trop intello, on pourrait toujours relire Charlie Hebdo qui souvent, dans son histoire, à intervalles réguliers a titré, en substance : “Baisez plus, vous voterez moins con !”

Bon dimanche,

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