7 min

Mathieu Palain : “J’ai été interpellé par la façon dont les hommes se construisent”

Mathieu PALAIN ©Céline NieszawerLeextra

Après l’inclassable (et génial ! ) Ne t’arrête pas de courir – prix Interallié 2021- où il tentait d’éclaircir l’énigme Toumany Coulibaly, le journaliste Mathieu Palain s’attaque à un angle mort des violences faites aux femmes. Sidérant et lumineux. Rencontre avec un auteur nourri au terreau du réel.

Entretien réalisé par Pauline LEDUC

Capture D’écran 2023 02 24 À 11.13.20Fruit de quatre ans d’enquête, Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents est un livre d’une limpidité lumineuse alors qu’on patauge, avec l’auteur lui-même, dans une quête douloureuse. Et sans réponse. Avec ce récit de son immersion dans des groupes de parole pour hommes violents mais aussi de ses rencontres avec des victimes et spécialistes, le journaliste Mathieu Palain éclaire un angle mort des violences faites aux femmes. Sujet dont il ne se prétend pas spécialiste, comme il le précise à de multiples reprises, et qu’il fore sans rien cacher de ses questionnements. Page après page, il fouille les racines de cette violence, interroge sa transmission comme sa potentielle éradication et met à jour le déni sidérant de bourreaux qui se victimisent. Quand les victimes, elles, culpabilisent. Loin des clichés autour de ceux qu’on préférait tous voir comme des monstres, Mathieu Palain rencontre, et c’est bien le problème, « des mecs normaux ».

On retrouve ici les talents de portraitiste de l’auteur, notamment passé par Libération et XXI, déjà à l’œuvre dans ses deux premiers livres. Cette manière de raconter le réel, sans jugement, complaisance ou censure. De croquer avec justesse et simplicité l’humain et les parcours de vie cabossés. Esquissant en creux, un autoportrait qui apparaît plus comme une marque d’honnêteté que de narcissisme. On a voulu aller vérifier par nous-même. Avec lui, on a parlé masculinité, banlieue, vertige de la fiction, terreau du réel, mais aussi immobilier.

"Toutes les filles que je connaissais avaient des histoires effarantes à raconter"

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cet angle mort des violences faites aux femmes, sujet dont vous dites vous-même que vous êtes « passé à côté » pendant des années ?

Mathieu Palain : Cela a infusé en 2017-2018, pendant que s’installait le mouvement #Metoo. En tant que journaliste, je me demandais comment j’avais pu passer à côté. Notamment de toute cette souffrance dont j’ai pu mesurer l’universalité parce que j’ai la chance d’être entouré de beaucoup de femmes. J’ai découvert que toutes les filles que je connaissais avaient des histoires effarantes à raconter.

Et puis, il y a eu un coup du hasard. Un de mes contacts m’a appelé en septembre 2018 pour me parler de groupes de parole d’hommes violents et m’a demandé si j’étais intéressé par les violences faites aux femmes. Sa formulation rendait impossible un potentiel « non ». Au moment où j’ai dit oui,  je n’ambitionnais pas de combler un quelconque angle mort mais d’avoir des réponses. Qui sont ces hommes ? Comment en viennent-ils à frapper la femme qu’ils aiment, parfois la mère de leurs enfants ? J’imaginais un groupe de parole, comme dans Fight Club, avec douze mecs assis sur une chaise qui disent, les uns après les autres, « Bonjour, je m’appelle un tel et je frappe ma femme ». Et cette phrase n’est d’ailleurs presque jamais venue.

Votre enquête a nourri une série de podcast diffusés sur France Culture à l’hiver 2019. Pourquoi avoir décidé d’aller plus loin et d’en faire un livre ?

Mathieu Palain : Avec la série, j’ai réalisé un objet journalistique qui se tenait. Mais je n’avais pas répondu à la question qui me taraudait : d’où vient la violence et pourquoi elle s’exerce au sein d’un couple qui s’aime ? Parallèlement, le succès de ces podcasts a généré énormément de retours. Certains étaient négatifs mais la majorité étaient positifs. Ils émanaient de femmes qui me racontaient ce qu’elles avaient vécu ; de pères qui s’inquiétaient pour leurs filles ; d’hommes qui étaient déjà passés à l’acte ou craignaient de le faire. Leurs profils étaient différents de ceux que j’avais recueillis jusqu’ici. Si les histoires que ces femmes me racontaient étaient similaires, en termes de mécanismes de violences,  elles concernaient aussi des médecins, avocats, banquiers ou chefs d’entreprise. Des hommes qui ont du pouvoir et une réputation à défendre. Je savais que la violence était transclasse mais je n’avais pas encore de témoignages dans les milieux aisés ou privilégiés. Alors j’ai continué d’approfondir.