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Black-out, et alors ?

Ricardo Iv Tamayo ZFqr DgI JU Unsplash

Attention, attention, nous serine-t-on, le black-out nous guette.  L’électricité va manquer et nous serons plongés dans le noir. Le black-out et ses effets sont l’une des possibilités dramatiques de l’art en général, depuis longtemps. Les derniers soubresauts de cette idée sont ceux racontés par Enki Bilal dans son « Bug » dans lequel il imagine un monde où l’internet s’arrête. Et alors que l’on entendait un matin à la radio les animateurs expliquer à quel point il était crucial de télécharger l’application RTE pour mesurer les impacts de notre consommation collective d’énergie, se perdre dans les pensées. Dans les souvenirs avec l’ami parti brutalement. Dans les sourires partagés avec les uns, les unes ou les autres. Dans les doutes, dans les joies.

Et revenir à l’animatrice de radio qui interroge le patron de RTE vantant le “comportement responsable” des Français au mois de novembre. Se prendre à imaginer un black-out. Non pas un black-out sévère qui mettrait en péril les plus fragiles, comme toujours. Non, se prendre plutôt à espérer un black-out des parasites de nos esprits. De tous ces imbéciles heureux pétris de certitudes qui déblatèrent leurs inepties en profitant des instincts primaires des gens, de leur détresse, de leur fragilité et aussi, pour certains, de leur bêtise.

Se prendre à rêver d’un black-out qui viendrait clore le bec des “Baba” et autres bouffons cathodiques, mais au-delà de ça, ce black-out serait une occasion en or de nous réchauffer, de nous coller les uns aux autres ou les unes aux uns, de se câliner, de s’enchevêtrer, de se réchauffer, et de se perdre. Un black-out qui réactiverait, quelques heures, l’industrie de la bougie et qui nous conduirait tous et toutes à poser notre téléphone, à ouvrir un roman, à mettre un disque (pourquoi pas celui langoureux de Weyes Blood. Oui, bon ok, je sais, il faut de l’électricité, mais tout est symbole et il est question ici d’un black-out symbolique), et à se plonger dans les aventures des personnages que nous rencontrerons dans les romans choisis.

Pourquoi pas celles de Louis Daumale dans le roman d’Agnès Michaux dont nous vous parlons cette semaine ? Pourquoi pas dans un livre d’histoire sur le Chevalier de la Barre, exécuté en 1766 pour blasphème, dont Voltaire fut l’un des ardents défenseurs et qui, peut-être, fut l’un des premiers combattants de l’idéal laïc ? Idéal laïc dont nous avons commémoré, vendredi, le 9 décembre, la traduction dans la loi avec l’anniversaire de la séparation des Églises et de l’État. Séparation du spirituel et du temporel.

Séparation des croyances et de l’élévation des citoyens par le rationalisme, les vérités scientifiques, l’esprit libre, l’esprit critique et l’esprit républicain.
Peut-être que ce black-out symbolique dont nous rêvons sera aussi l’occasion de plonger avec délectation dans un disque de John Lennon (oui, encore un disque), mort un 8 décembre. De réécouter les rêves et les désillusions de ce chanteur si particulier. Peut-être que ce black-out symbolique où l’on prendrait juste le temps d’être et non plus d’avoir serait bénéfique.

Un black-out amoureux, sensuel, musical, littéraire et introspectif. Voilà le black-out que nous appelons de nos vœux. Un black-out de polémiques imbéciles, d’extrémismes en tous genres, de en même temps bancal, une forme de plongée dans le noir façon Soulages.

Cet Outrenoir dont Soulages lui-même disait qu’il aimait y chercher les reflets de lumière rouge ou de toutes les autres couleurs possibles. Tiens, d’ailleurs Michel Pastoureau, historien des couleurs, explique dans son ouvrage consacré au noir qu’une “couleur fut-elle noire ne vient jamais seule”. Ainsi, nous enseigne Pastoureau, dans chaque couleur, il y a une palette de toutes les autres. C’est un spectre. Dans le noir, dans le black-out, il y a donc tout un tas d’autres couleurs plus joyeuses et lumineuses qu’il convient d’apercevoir et d’aller chercher.

 Et Pastoureau d’ajouter : “Il faut laisser aux couleurs leur ambivalence.  Dans la symbolique, les extrêmes se touchent. Une couleur peut dire une chose et son contraire. Il y a un bon noir et un mauvais noir. D’ailleurs, il y a deux mots pour désigner le noir en latin : ater pour le noir mat, mauvais, et niger pour le noir brillant, pris en bonne part, qui l’a emporté pour donner aussi bien « noir » que « nègre ». Shakespeare use encore de deux termes antinomiques, swart et black, pour nommer le noir.”



Chercher les couleurs dans le black-out, en quelques sortes, afin que nous puissions en ressortir une lumière. Cette lumière des êtres qui se sont un temps reposés, ont fait le point sur les essentiels et qui reviennent plus forts. Peut-être est-ce de la littérature ? Quand nous vous disions que l’idée était aussi vieille que l’art.

Bon dimanche les amis,

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