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Dall-E prix Goncourt ?

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Si vous ne connaissez pas encore Dall-E (pas Dali, c’est dimanche matin, mais quand même, cette lettre est quelque chose de sérieux ), il va falloir remédier à cette lacune. Dall-E est une intelligence artificielle (IA) capable de créer des œuvres d’art et des images dignes de fresques picturales à partir que quelques mots de description. Cela peut être une couleur, une ambiance, un lieu bref, ce que l’on veut pour donner le plus de billes possibles à l’IA. Récemment, un artiste américain du Colorado a même remporté un concours d’art sans que le jury -composé d’humains – ne se rende compte de quoi que ce soit. Comme si l’IA, en plus de tromper l’esprit humain pouvait aussi, désormais, façonner le « beau ».

Évidemment l’information est vertigineuse. Demain, peut-être, que le futur Picasso sera une IA ou plus exactement qu’il sera considérablement aidé par la puissance et les possibilités offertes par l’IA. L’idée n’étant pas de reprocher à l’artiste du futur de se servir de toutes les techniques à sa disposition pour créer mais plutôt d’interroger ce que cela vient modifier dans ce qu’apporte l’art et dans ce qu’il est, profondément, c’est à dire la tentative de rendre universelle une sensibilité individuelle par le truchement du support artistique : tableau, sculpture, chanson, livre etc.

Quand Rodin sculpte son baiser, il traduit sa propre sensation et pourtant celle-ci devient la notre. Quand les Beatles chantent une rupture amoureuse, ils racontent la leur, et pourtant elle nous emporte aussi. Les exemples sont légions de ces œuvres d’art qui – par l’expérience sensible qu’elles nous font vivre – deviennent universelles dans ce qu’elles peuvent charrier avec elles chez chacun et chacune de nous.
Il y a quelques années une université de journalisme américaine avait décidé de faire écrire les compte-rendus de matchs par une IA. Celle-ci avait été entraînée et nourrie aux différents résultats des équipes concernées, à l’histoire des clubs et de la saison en cours. Le résultat était assez bluffant, il faut bien le reconnaître. Découvrant Dall-E, une interrogation a traversé notre esprit : demain Dall-E ou plutôt Heming-W pourra-t-elle fabriquer un roman tel qu’il puisse tromper le jury du prix Goncourt et remporter la timbale ?

Vous me direz que ce n’est pas l’IA qui conduit ce jury àa se tromper dans ses choix, ou à décerner le prix Goncourt à un écrivain sous pseudo déjà lauréat, mais c’est une autre histoire. Non ce que soulève cette interrogation est plus profond : l’art peut-il se passer de la sensibilité de l’artiste ou plus exactement l’art peut-il solliciter la sensibilité de l’artiste qu’à la toute fin du processus, une fois le produit quasi fini ? Tiens, faisons un petit jeu : demandons à notre IA littéraire Heming-W d’écrire un roman avec une ambiance amoureuse où il est question de différences. Sera-t-il véritablement capable de saisir l’universalité de ce que Shakespeare sut saisir dans son Roméo et Juliette ? Surtout Heming-W saura-t-il s’affranchir des normes, des limites, des interdits qui seront inévitablement posés dans le programme algorithmique de l’IA ? Certainement pas, c’est d’ailleurs le cas déjà de Dall-E qui ne peut pas proposer d’images où il y a de la nudité et / ou de la violence.

Ainsi, Heming-W obtiendra un message d’« opération impossible » dès qu’il décidera de sortir des cases fixées.

Et c’est une bonne nouvelle. Car au-delà des prouesses que l’IA ne manquera pas de réaliser, et  d’apporter à la création en général, elle ne pourra pas lui retirer ce qui en fait le sel : la transgression, la capacité à franchir les limites, à détourner les formes, et surtout surtout à nous faire sortir de nos zones de conforts. “Le rôle de l’écrivain est à la fois de nous divertir, de nous donner accès à la beauté et – c’est le point politique – de ne reconnaître ni dieu, ni maître, ni frontières” même pas celles de l’IA, pourrait-on ajouter à ces mots de l’écrivain TC Boyle. Nous y sommes. Ni dieu, ni maître, ni frontières. L’art est une liberté totale.

Bon dimanche,

PS 1 : Cet édito n’a pas été écrit par une intelligence artificielle… quoique, qui sait ?

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