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Lucifers de la vie

Zoran Borojevic E RbvtOhLNI Unsplash

Souvent je pense à eux. Aux 130. A Sébastien, à Nick, à Claire, à Elodie, à Vincent, à Manuel, à Marion, à Lola. Le souvenir de ces inconnus pourtant si familiers surgit sans prévenir et ramène toujours l’esprit vers ce funeste 13 novembre 2015 où la barbarie fanatique et religieuse des islamistes est venue les faucher dans leurs existences. Souvent, pour ne pas dire régulièrement, je pense à leurs conversations sur les terrasses au moment où l’attentat s’est produit. Souvent, je songe à toutes les rencontres qu’ils ne feront plus. A ces instants si doux et si puissants des regards échangés, des sourires complices, des mains qui se frôlent, des lèvres qui se cherchent et des corps qui s’enlacent. Souvent des idées de romans viennent. Souvent, je pense à tout cela et au-delà de la tristesse et de l’émotion qui m’alpaguent, la conviction qui émerge est triple. Celle d’une obligation de vivre. Comme pour être digne de ce qu’ils étaient, eux, au moment où leur vie s’est arrêtée. Remplis d’une force, d’une tristesse, d’une capacité à s’amuser, et d’un amour pour ce que la légèreté permet. Soyons fous de vivre, cultivons notre “démence de vivre ” et notre “fringale” pour celle-ci.

L’autre dimension de la conviction qui émerge alors que mes pensées sont tournées vers les 130, est l’idée que cet événement comme celui des attentats de janvier 2015 à Charlie, à Montrouge, à l’HyperCacher, comme celui du 14 juillet à Nice, ou comme l’assassinat de Samuel Paty en 2020, constitue un événement fondateur qui oblige à ne plus réfléchir comme avant et qui surtout oblige à ne pas tergiverser sur les valeurs qu’il s’agit de défendre, et sur les alliances qu’il ne faut jamais faire.

La troisième dimension de la conviction qui émerge lorsque je pense à eux, c’est celle qu’au fond ce qui nous lie, qui nous permet d’avancer et de tenir debout est l’idéal laïque. C’est d’ailleurs celui-ci que les barbares islamistes et fascistes sont venus attaquer. A chaque fois qu’ils ont frappé en France.
Sans la laïcité qu’ils désignent comme la “religion du diable”, nous ne serions pas la France. Nous ne serions pas le même pays.  Alors puisqu’ils nous considèrent comme le diable, soyons tels Lucifer et apportons la lumière en rappelant
que cette laïcité n’est ni un parti, ni une religion, mais la possibilité pour un être humain d’être soi dans le respect des autres. Dans cette troisième dimension de la conviction qui émerge lorsque je pense à eux, l’idée profonde est que nous devons dire merde à l’esprit Saint. Toujours, encore, et transmettre cet idéal de fraternité contenu dans l’idéal laïque. Cet idéal qui charrie avec lui l’amour des mots et l’amour du rire qui dérange tant les esprits Saints d’où qu’ils viennent. Cet amour aussi de la beauté. Celle de l’art qui dérange.

Cette ouverture d’esprit, cet amour de la création, c’est aussi cela qui dérange les fascistes islamistes et c’est cela que nous devons défendre. Jusqu’au bout. Ils veulent nous empêcher de penser, nous continuerons. Ils veulent nous empêcher de créer, nous continuerons. Avec Aragon, nous “creuserons des galeries vers la beauté et l’enchantement.”

C’est tout cela que nous leur devons à tous ceux qui ont été assassinés pour faire plaisir à Allah. Nous leur devons de vivre intensément pour se rencontrer et s’aimer, de se souvenir que ces événements sont fondateurs d’une posture de combat contre l’obscurantisme religieux, et enfin de défendre et d’encourager la création, le rire et la recherche de la beauté.

La littérature ne peut ni désamorcer une bombe, ni arrêter une balle mais les écrivains peuvent toujours célébrer la vérité et nommer les mensonges, nous devons raconter de meilleures histoires que les imbéciles et les tyrans”, écrit Salman Rushdie. Cela n’a jamais autant été d’actualité qu’en ce jour anniversaire du 13 novembre. Nous sommes des Lucifers de la vie et de la création. Ils ont voulu nous tuer ils nous ont rendu immortels et lumineux.

Bon dimanche,

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