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Deon Meyer : “L’écriture est une exploration, pas un prêche”

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L’auteur sud-africain, Deon Meyer, star internationale du polar, apprécie beaucoup la France, où il compte de très nombreux lecteurs. En particulier la ville de Bordeaux, où il séjourne souvent pour le plaisir. C’est là que Philippe Lemaire l’a rencontré pour parler de son nouveau roman, « Cupidité ».

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Dans « La Proie », l’un de ses tout meilleurs livres, sorti en France en 2020, Deon Meyer a situé plusieurs scènes fortes dans le vieux Bordeaux, où s’est réfugié un ancien gros bras de l’ANC, parti au pouvoir en Afrique du Sud, qui avait le tort d’en savoir trop. Le romancier du Cap a ses habitudes dans ce quartier depuis une quinzaine d’années, il aime s’y poser avec son épouse pour goûter à une certaine douceur de vivre, entre escapades gastronomiques et balades à vélo. C’est là, aux abords du Marché des Capucins, qu’il nous a donné rendez-vous pour parler de « Cupidité », son dernier roman, avant d’aller le promouvoir sur les salons de Pau (Un aller-et-retour dans le noir) et de Toulouse (Polars du sud). Un polar désenchanté, où il parachute son duo d’enquêteurs Benny Griessel-Vaughn Cupido sur deux affaires sensibles, la mort suspecte d’un milliardaire sulfureux et la disparition d’un jeune pirate informatique. En toile de fond, une société qui se lézarde, une police en crise, une atmosphère de sauve-qui-peut…

D’où vous est venue cette idée de placer sous un même thème, celui de la cupidité, la double intrigue policière de ce livre ?

Deon Meyer : Ce n’est pas la première fois que je place un roman sous un thème général fort, c’était déjà le cas pour « Le Pic du Diable » (en 2007, sur les crimes pédophiles NDLR) et pour « L’Année du Lion » (en 2017, sur les menaces de pandémie NDLR). Quand j’ai réfléchi à celui-ci, la cupidité était au centre de plusieurs gros scandales en Afrique du Sud, politiques ou économique. L’un concernait Steinhoff, une entreprise sud-africaine ayant son siège à Stellenbosch (où vit l’auteur NDLR), qui s’est effondrée après être devenue une énorme multinationale (elle avait racheté Conforama en France NDLR). Le marché immobilier a été déstabilisé par ce krach et les conséquences ont été terribles pour tous ses actionnaires, qu’il s’agisse de fonds de pension ou de gens ordinaires. Ce scandale m’a bouleversé et j’en ai tiré l’une des deux intrigues de ce livre. Pour l’autre, j’ai été influencé par les confidences d’un ami, ancien responsable de la police du Cap, concernant un haut gradé qui, mécontent de ne pas obtenir d’avancement, s’était livré à un trafic d’armes. J’ai juste modifié un peu les faits pour ne pas m’exposer aux poursuites.

Que cherchez-vous à dénoncer dans ces deux affaires ?

Deon Meyer : Mon approche de l’écriture consiste à explorer, jamais à prêcher. C’est dangereux pour un auteur de roman policier de chercher à délivrer un message. Je veux juste écrire un livre que j’aurai envie de lire et qui me fasse réfléchir, développer des histoires pour lesquelles je ressens une forte implication et dont je pense que le lecteur ressentira la même chose.

Ce phénomène de cupidité vous semble-t-il plus présent aujourd’hui dans la société sud-africaine ?

Deon Meyer :  La cupidité a toujours existé dans notre pays. Simplement, sous le régime de l’apartheid, faute de liberté de la presse, les scandales impliquant des officiels restaient cachés. Et après l’apartheid, comme on se sentait coupables, on trouvait normal qu’il y ait une restitution aux gens qui avaient été opprimés. C’était la chose à faire. On a pris conscience qu’il s’agissait d’avidité avec la présidence de Jacob Zuma (de 2009 à 2018 NDLR) : il incarnait la corruption, il en était la tête d’affiche. Dans notre contexte historique, on pouvait encore comprendre que des politiciens noirs se soient dit : « A notre tour de nous de nous goinfrer ». C’est tout autre chose avec le scandale de Steinhoff : c’était une compagnie dirigée et managée par des blancs afrikaners, il n’y avait pas de contexte pour expliquer cette dérive.

“L’amour a déteint sur mes livres”

La situation en Afrique du Sud a-t-elle empiré sur ce plan ?

Deon Meyer : Je suis un incurable optimiste – et mon épouse Marianne aussi – mais depuis cinq ou six ans, notre pays semble carrément sur le point de s’effondrer. A cause de la corruption, d’une mauvaise planification, nous ne produisons pas assez d’électricité, nous avons des coupures six heures par jour et c’est dévastateur pour l’économie, pour l’emploi. Beaucoup de petites villes sont en faillite et ne peuvent plus assurer les services publics. Les routes sont en très mauvais état. Notre police va mal, deux officiers viennent encore d’être arrêtés. Et au milieu de tout cela, on a un président, Cyril Ramaphosa, qui fait de son mieux (il a été élu en 2018 pour cinq ans NDLR). En tant qu’auteur de fictions criminelles, cela me donne de bonnes histoires à écrire. En tant que citoyen attaché à son pays, cela me fait mal.

N’a-t-on pas tendance à noircir les choses dans un roman policier ?

Deon Meyer :  Ma seule règle est de dépeindre le pays de façon crédible. Si je montrais une Afrique du Sud utopique où tout est rose, mes lecteurs sud-africains riraient. Et comme beaucoup de mes lecteurs européens ont visité le pays, j’ai l’obligation d’être honnête avec eux sur ce qui s’y passe. En privé, les policiers que je connais me sont reconnaissants de montrer un peu de leur réalité.

Votre héros Benny Griessel a évolué avec son partenaire Vaughn Cupido vers un curieux duo, parfois comique…

Deon Meyer :  Quand j’ai écrit la première enquête de Benny Griessel, je venais de perdre mon père, qui était un homme formidable. Ensuite j’ai divorcé, je me suis retrouvé père célibataire de deux enfants, à me débattre financièrement. Une période très difficile. Ma vision de la vie a changé, et mes livres avec, quand j’ai rencontré Marianne (mariés depuis treize ans, ils ont six enfants à deux NDLR). Et puis quand vous créez un personnage mal léché comme Benny, le risque est que vos romans soient de plus en plus sombres et fassent fuir vos lecteurs. Avec Vaughn qui s’insinue dans les histoires, les bonnes choses arrivent tout naturellement. C’est un personnage génial sur lequel écrire. Je connais beaucoup de policiers métis issus comme lui des Cape Flats (la plaine du Cap, à l’est de la ville NDLR), je passe du temps avec eux, ils sont différents, ils ont un humour spécial, une façon de parler et de regarder la vie bien à eux. Avant, ils n’étaient jamais assez blancs et aujourd’hui, ils ne sont jamais assez noirs. Ils sont entre deux, hors du jeu. Je ne pensais pas à l’origine créer ce duo mais ils me donnent davantage de pistes à explorer et rendent mes livres plus intéressants.

Vous semblez entretenir une relation particulière avec la France…

Deon Meyer :  Je suis venu en France pour la première fois à 37 ans (Deon Meyer a 64 ans NDLR). J’arrivais de Londres en Eurostar, j’ai pris le métro pour la place Saint-Michel et là, je me suis senti aussi ému que si je rencontrais la plus belle femme du monde. J’ai été submergé par les odeurs, les bruits, les lumières. J’avais cette vision romantique de la France depuis l’adolescence, où j’avais appris la langue pendant deux ans. C’est comme si un rêve se réalisait. J’ai eu un coup de foudre pour Paris. Et ça n’a jamais pris fin. Nous avons une fille qui vit en Italie et j’aime ce pays de plus en plus. Mais la France, c’est différent, le style de vie, les livres, la nourriture… Mon premier prix littéraire m’a été décerné en France et c’est après ce prix que les médias sud-africains ont commencé à s’intéresser à moi. J’ai longtemps vendu plus de livres ici que dans mon propre pays. Les lecteurs français sont plus soucieux de la littérature étrangères que d’autres, plus désireux de s’exposer à d’autres cultures que la leur.

Votre épouse Marianne est-elle votre première lectrice ?

Deon Meyer :  Je teste ou je valide mes idées sur elle. Elle confirme souvent ce que je ressens. Je sais bien qu’elle n’est pas à 100% objective, puisqu’elle m’aime, mais si je me trompe elle me le dira. L’amour est le seul point où ma propre vie a déteint sur mes livres. Benny Griessel était malheureux quand je l’étais et quand j’ai trouvé l’amour, lui aussi l’a trouvé.

« Cupidité », Deon Meyer, éd. Gallimard Série noire, 592 pages, 20€

Tous les entretiens d’Ernest sont là et les Regards Noirs de Philippe Lemaire ici.

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