Embrasser un monde. Embrasser une histoire. C’est souvent l’ambition des romanciers et des romancières. C’est aussi celle de Rebecca Benhamou (Rebecca est journaliste, elle travaille parfois pour Ernest, mais nous parlions d’elle avant qu’elle vienne faire de superbes enquêtes ici et là). Dans son roman “Les habitués du temps suspendu” paru chez Fayard, Rebecca Benhamou raconte l’histoire de Salomon, librement inspiré de son grand-père.
Salomon se rend tous les matins au Temps suspendu, bistrot de la Rive gauche de Paris qui vit surtout de ses habitués. Un jour, ému par Lila, une des habituées, jeune violoncelliste qui joue au bistrot un morceau de Bach, source de réminiscences tout autant joyeuses que douloureuses pour lui, le vieil homme commence à lui raconter son histoire, de l’engagement de son père pour la France en 1914, à son propre engagement en 1939, terminant son récit par celui de l’indépendance algérienne, terre d’adoption de sa famille après la Première Guerre Mondiale.
Un roman doux et sensible
C’est alors que commence une histoire fantastique. Celle de Salomon, mais aussi celle de Lila. Celle des exilés, celles de la France et de l’Algérie, celle de l’amour filial, de l’amour tout court, celle d’une famille, celle des familles. Celles des joies et des regrets, celles des peines et des liens qui font une vie. La plume de Rebecca est ciselée, forte et épurée. En quelques mots, quelques phrases, l’actrice plante un décor et une ambiance. Surtout, elle nous touche. Profondément. Dans un livre doux et émouvant. Sur ce que nous laissons. Sur ce que nous emportons. Sur ce qui nous manque. Sur les non-dits. Sur ce que l’on arrive pas à raconter. Sur la transmission silencieuse. C’est aussi un roman sur l’histoire de France contemporaine. Sur l’Algérie notamment, mais pas que. Sur ses douleurs. Sur ses retournements. Un roman doux et tendre sur ce que l’Histoire fait de nous et sur ce que nous faisons d’elle.
Un très beau moment de lecture qui confirme tout le talent de Rebecca Benhamou qui est décidément l’une des écrivaines à suivre.
“Les habitués du temps suspendu”, Fayard.