Il y a tout juste un an, la dessinatrice publiait « Dessiner encore », un album puissant et bouleversant, tout autant que poétique, qui racontait sa culpabilité et sa souffrance, après l’attentat de Charlie Hebdo. Dans le même temps, elle commençait à travailler à Libé, en charge du dessin quotidien, en plus de ses dessins à Charlie Hebdo. Coco, j’ai eu la chance de partir en reportage avec elle, de la voir dessiner en live dans la rédac de Charlie. Pour Ernest, mi- collègue, mi-journaliste, je l’ai interviewée sur son regard sur la campagne présidentielle, sur le rôle du dessinateur de presse, sur la nécessité, encore et toujours, de défendre la liberté d’expression.
Commençons par une question qui peut sembler anecdotique, mais peut-être pas tant que ça… Lors de la cérémonie des Oscars, on a vu Will Smith gifler l’humoriste Chris Rock après une blague sur sa femme atteinte d’alopécie. Tu as tenu à réagir, pour quelle raison ?
J’ai voulu rappeler que oui, on peut rire de tout, y compris de la maladie, et surtout ne pas encourager la violence face à une blague, qu’elle soit nulle ou pas. Le pouvoir de l’humour doit transcender les sujets les plus difficiles. On peut faire des dessins sur la mort, sur des choses très graves sans que cela ne réveille tant de susceptibilités. On peut répondre par la discussion. Will Smith aurait pu faire part de son mécontentement d’une autre manière, juste sortir de la salle. Mais si on commence à légitimer la réaction qu’il a eu, cela revient à dire que l’humoriste « l’a bien cherché » (cette violente baffe). C’est comme si on légitimait l’attentat de Charlie pour de simples dessins, par exemple. C’est un raisonnement intolérable.
Une autre question s’est posée récemment, concernant cette fois-ci les limites de l’engagement politique d’un humoriste. Je pense à la présence de Gaspard Proust à une soirée organisée par Valeurs actuelles. Qu’en as-tu pensé ?
Je trouve ça un peu spécial de s’afficher à une soirée telle que celle de Valeurs actuelles, qui est une soirée politique. Ça peut forcément être perçu comme une manière de soutenir les idées d’extrême-droite. Récemment, un homme politique de gauche m’a contactée pour savoir si je voulais participer à un meeting. J’ai dit non, car en tant que dessinatrice de presse, il faut que je sois libre de caricaturer tous les partis, je ne peux pas m’afficher aux côtés d’un homme politique, sauf si mon travail m’y oblige et que je fais un reportage dessiné. Je dois rester indépendante vis-à-vis de toutes les opinions politiques. S’il l’on veut me « cerner » politiquement, je préfère que ce soit dans des termes généraux « elle est plutôt de gauche, gauche universaliste et féministe », des choses générales comme ça, et non elle soutient une telle ou un tel en particulier.
"Zemmour, c’est comme Trump, c’est déjà une caricature"
Concernant cette présidentielle justement, quels sont les candidats qui t’inspirent le plus ?
J’avoue je n’ai pas été très sympathique avec Anne Hidalgo dans mes dessins ! On l’avait interviewé dans Charlie, j’avais trouvé son positionnement intéressant, mais j’ai été assez déçue de sa campagne, alors cette déception m’a mené à pointer du doigt ses incohérences. Mais c’est pleinement le rôle du dessinateur de presse, de montrer là où ça pose problème, appuyer là où ça fait mal. On est plutôt gâtés par les candidats dans cette campagne, si on peut dire. J’aime assez dessiner Pécresse en ce moment qui se situe entre Macron et Zemmour, le cul entre deux chaises. Zemmour, c’est comme Trump, c’est déjà une caricature.
En plus de Charlie, tu dessines maintenant depuis un an dans Libé, où tu as pris la suite de Willem. Ça fait quoi d’être la première femme dessinatrice en charge du dessin d’un quotidien national ? C’est un non-sujet ou au contraire une fierté ?
Je ne réalise pas trop ce que cela signifie, pour moi avant tout, c’est le dessin qui compte. Mais peut-être que cela va éveiller des jeunes femmes à suivre cette voix, j’en serais alors ravie. C’est tout de même une avancée. Je le réaliserai peut-être plus dans 10, 15 ans, s’il y a plus de femmes que d’hommes dans ce métier ! Pourquoi est-ce qu’il y a si peu de femmes dans le dessin de presse, cette une question que je me pose et à laquelle je n’ai jamais trop su quoi répondre. Est-ce que c’est une question de tempérament ? Il faut oser, être dure, même impitoyable. Cabu disait que les femmes dans le dessin de presse ont un regard et une sensibilité différente.
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