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Kintsugi colonial

Simon Lee ORT46c9 AKA Unsplash(1)

“La vérité c’est qu’il n’y a pas eu mariage… Les Français sont restés étrangers. Ils croyaient que l’Algérie c’était eux. Maintenant que nous nous estimons assez forts ou que nous les croyons un peu faibles, nous leur disons : non, messieurs, l’Algérie c’est nous… Le mal vient de là. Inutile de chercher ailleurs. Un siècle durant, on s’est coudoyé sans curiosité, il ne reste plus qu’à récolter cette indifférence réfléchie qui est le contraire de l’amour”, écrivait l’auteur algérien Mouloud Feraoun dans son journal publié à titre posthume.

Anticolonial, Mouloud Feraoun n’en était pas moins un francophile convaincu, grand ami d’Albert Camus avec lequel il partageait le rêve de deux peuples qui parviendrait à se marier. Il fut assassiné par l’OAS, trois jours avant la signature des accords d’Evian le 18 Mars 1962. Cette année la France a décidé de lui rendre hommage en demandant à l’ambassadeur de France à Alger de déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe. 60 ans après. 60 ans après la fin de la guerre d’Algérie. Trop tard ?
Il n’est jamais trop tard pour recoller les morceaux. Dans le kintsugi, cet art japonnais de réparation des objets en porcelaine ou en céramique grâce à de l’or, la cassure devient quelque chose de magnifié par le resplendissement de l’or. Peut-être que cette gerbe déposée au nom de la France est une petite feuille d’or posée sur la mémoire encore vive d’une déchirure entre la France et l’Algérie.
L’autre feuille d’or de ce kintsugi colonial, c’est aussi la magnifique série documentaire en cinq épisodes signée Georges-Marc Benamou et Benjamin Stora, diffusée sur France Télévisions cette semaine et toujours disponible en replay. Benamou et Stora livrent un récit magistral, complet, fin, émouvant et intelligent de l’histoire de la France en Algérie, des occasions manquées, et des déchirements. Rien d’aussi juste n’a jamais été ainsi narré et montré. Comprendre, écouter, pour recoller des morceaux.

Les autres feuilles d’or qui permettent aujourd’hui de rapprocher ces deux peuples qui, en fait, ne se sont jamais véritablement mariés, ce sont évidemment les mots. Les mots gravés par les auteurs et les autrices contemporains liés de près ou de loin avec cette histoire (Elkaïm, Benhamou, Kerchouche, Bey etc.) qui par l’expérience sensible de la fiction nous permettent de mieux cerner la complexité, de la comprendre et de l’accepter. Les lire pour ne pas juger ex-abrupto avec nos yeux de 2022. Les lire pour se souvenir. Les lire pour espérer voir l’or surgir de nos failles et de nos blessures collectives.
Et si l’on rêvait un peu et que nous imaginions, demain, une réconciliation totale, puissante et forte, où les cassures deviendraient de l’or ?

Bon dimanche,

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