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La France Manouchian

1009 Manouchian

Je devais avoir 12 ans. Peut-être 13. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai lu ces mots. Nous étions au mois de mars. La lumière du soleil se faisait un peu plus puissante. Le printemps ne tarderait pas. Alors que le cours d’Histoire démarrait, la prof nous dit : “Aujourd’hui nous allons étudier une histoire de fraternité. Une histoire qui va vous faire grandir”. Elle nous distribua une feuille où une lettre était écrite. Les mots suivants : “Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.”

Ces mots sont adressés à Mélinée. Ils sont de Missak Manouchian. Ils furent écrits le jour de son exécution par les nazis le 21 février 1944. Relire ces mots lus pour la première fois à 13 ans suscite toujours la même émotion. La tristesse d’abord de ce destin fauché pour la liberté. L’émerveillement devant la beauté de l’amour qui unit Missak et Mélinée. La missive commence ainsi : “Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée. Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.”

Après la tristesse et l’émotion devant la beauté de l’amour de Missak et Mélinée vient évidemment la force des mots. La fraternité contenue dans les mots d’un homme qui alors qu’il sera exécuté quelques heures plus tard parvient à souhaiter du bonheur pour tous. Même les Allemands. “Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous…”

Missak Manouchian était le meneur de ce groupe de résistants connus sous le nom des FTP-MOI de toute la région parisienne. Avec ces acolytes, ils furent l’un des groupes de résistants les plus actifs, tant et si bien que les Allemands imprimeront une « affiche rouge » pour les vilipender et surtout insister sur leurs origines étrangères.

Car oui, ils étaient étrangers. Hongrois, italiens, polonais, arméniens. Oui, ils venaient d’ailleurs. Ils n’avaient pas de sang français mais la France coulait dans leurs veines. Ils avaient « grand remplacé » dans la résistance à l’occupant nazi, une très grande majorité de Français qui, eux, préféraient se vautrer lamentablement dans la collaboration avec les Allemands.

L’Histoire a ceci d’intéressant qu’elle nous permet de tirer des leçons. Exemple : Il ne suffit pas d’être né en France pour ne pas la trahir. Un autre : la France est une idée, pas un territoire avec des frontières inamovibles. Un dernier : la France dépasse nos identités puisque nous en sommes citoyens.

Dans cette époque où des imbéciles télévangélistes candidats à la présidentielle viennent réécrivent en bon négationnistes l’histoire, et où des « républicains » emploient des mots et des concepts dignes de la France de Vichy, il est urgent de se rappeler de l’enseignement de Missak Manouchian. 

Il pourrait se résumer de la façon suivante : c’est parce que nous sommes différents mais que nous croyons à la même idée (La France) que nous sommes puissants.



La France de Manouchian est bien plus belle que la France de toutes celles et ceux qui se réclament d’elle sans en connaître ou en en falsifiant l’histoire. Eluard avait tout dit.

Si j’ai le droit de dire en français aujourd’hui,
Ma peine et mon espoir, ma colère et ma joie,
[…]
C’est que ces étrangers, comme on les nomme encore,
Croyaient à la justice, ici-bas, et concrète.
Ils avaient dans leur sang le sang de leurs semblables.
Ces étrangers savaient quelle était leur patrie.

 

Bon dimanche,

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