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Beigbeder, loin des emmerdes

BEIG2 Ph JF Paga Grasset

Jérémie Peltier, nouvelle icône de la fête, a lu le nouveau roman du maître incontesté du genre : Frédéric Beigbeder. Au menu : un roman sans emmerdes où Beigbeder en sage de la côte basque séduit Jérémie Peltier. Qui espère quand même danser à nouveau sur les pages de l’écrivain.

Photo Jean-François PAGA

Quand on attaque le dernier Beigbeder, on ne s’imagine pas devoir patienter 55 pages avant la première évocation du LSD. Et encore, il ne s’agit pas d’une évocation comme l’auteur de Nouvelles sous ecstasy (Gallimard, 1999) avait l’habitude d’en faire par le passé. Ici, c’est une phrase plus poétique dont on va devoir se contenter : « Je voudrais écrire une phrase qui ouvre sur d’autres dimensions, comme un buvard imprégné de LSD ». Il en est de même pour l’alcool, le sexe et la danse, qui arrivent bien tardivement et bien discrètement. C’est ainsi, il faut l’accepter : le registre traditionnel de l’icône de la fête ne structure pas ce nouveau roman, Un barrage contre l’Atlantique (Grasset, 2022), deuxième tome de son autobiographie débutée avec Un roman français (Grasset, 2009) dans lequel il racontait notamment comment il s’était fait punir par la police après un flagrant délit de prise de poudre blanche sur une voiture.

BeigcouvCette fois-ci, la neige artificielle a fondu sur fond de réchauffement climatique, faisant de ce roman un livre « à part » chez lui malgré la structure en fragments qui nous rappelle L’Égoïste romantique. Ici, il saute deux lignes entre chaque phrase, sans prendre une seule ligne de coke entre chaque page. Seul chez un ami qui tente grâce à un barrage artificiel d’éviter que la Pointe du Cap Ferret, « cul de sac géologique » disparaisse sous les eaux, Beigbeder parle de deux choses : le déclin des hommes et de l’humanité, battus par la nature qui ne se laisse plus faire face à nos comportements irresponsables, et le déclin de la fête, battue par l’individualisme et par le Covid.

Mais ce qui est intéressant dans son livre, c’est qu’il ne s’agit pas d’un livre décliniste, même s’il peint en permanence ce « bateau qui coule » qu’est la Terre, faisant de la condition humaine un parasite qui cherche à survivre en milieu hostile. Évidemment, il y a des passages délicieux sur l’horreur de notre époque. Il regrette l’époque pleine de liberté où Instagram et les téléphones n’existaient pas et où tous ses amis étaient injoignables et insouciants (« l’insouciance est une guerre » nous dit-il). Il pleure face à cette époque de l’immédiateté et du bavardage, qui ne laisse plus le temps de se tester, qui ne laisse plus le temps de se laisser bercer par quelques illusions (par un sms, une illusion devient instantanément une désillusion), une époque où on ne prend plus le temps de séduire, où on ne prend plus le temps de tourner trois fois sa langue dans sa bouche avant de la tourner trois fois dans la langue d’autrui. Il nous fait la description de la fin d’un monde – le nôtre – pour mieux parler de la fin d’une époque – la sienne.

Mais une fois ce constat fait, il ne s’agit pas de se lamenter sur sa situation. Bien au contraire : « J’ai bien profité du monde précédent car j’ai toujours eu l’intuition que, plus tard, ce serait la grosse merde, et maintenant que ça y est, nous y sommes, je cours me réfugier dans un paradis endigué ».

Beig’ en FILF

Comme si Beigbeder, serein et un peu lassé, ne voulait désormais plus d’emmerdes (ce qui lui fait un point commun avec le Président Macron). Il se plait à être spectateur, assis sur sa chaise en regardant l’atlantique comme le capitaine du Titanic regarde son navire coulé.

Le mot est lâché : « la flemme » : « Quand on a la flemme de tout, cela s’appelle un burn-out ou juste la vieillesse ? » se demande-t-il. La réponse Szilvia Basso HptxPPct2d4 Unsplashest autre à mon sens. Il nous fait croire qu’il est vieux, qu’il aimerait être un « FILF » (le masculin d’une MILF) et que les jeunes filles sont à deux doigts de lui dire que leurs mamans adorent ses livres. Mais cette flemme est tout autre. Même s’il dort désormais dans un pyjama offert par sa femme à Noël, cela s’appelle le bonheur, qu’il assume enfin. Cela s’appelle le contentement de sa situation, la conscience que sa situation est une « bonne situation » comme dirait son ami Édouard Baer.

Et il l’avoue : il s’est lui-même retiré du monde pour mieux en profiter, s’est lui-même retiré de Paris pour la province pour mieux contempler ce qu’il reste de la vie. Les plumes du Lido sont évoquées, certes, mais pour mieux parler des fougères qu’il décrit comme un poète-ornithologue : « Les fougères penchées par le vent ressemblent à ces plumes géantes qui cachent les seins des danseuses sur la scène du Lido, mais elles ont été replantées là, loin des Champs-Élysées, comme des starlettes à la retraite ».

Dans son livre, il nous fait ainsi la description d’une sécession heureuse. D’ailleurs, il publie son nouvel ouvrage au même moment que son ami Houellebecq, dont il sait pertinent qu’il va faire la une de tous les journaux, lui permettant à lui de rester derrière la mêlée, bien tranquille sur sa plage. Comme si Beigbeder n’était pas demandeur de plus. Il est bien. Se sent bien. Il est tout simplement heureux.

Et quand l’écrivain assume le fait d’être heureux, il nous offre des passages sublimes. Ce qui l’intéresse ne sont plus les formules mais les phrases, les belles phrases, dont il se sert pour des descriptions du paysage dont nous n’étions plus coutumiers. Exit les pages sur les cunnilingus, bonjour celles sur les cumulonimbus pour celui qui assume désormais être sur un petit nuage.

L’égoïste romantique a tué l’égoïste

Il quitte le phraseur pour le poète. Le romancier revient à la case départ. Retourne aux fondamentaux. Revoit ses bases. Revoit ses phrases. «Chaque phrase qui commence ramène son auteur à la case d’épart ».  Il se trouve bien à sa place, du sable dans ses chaussures, des playmobils sous les pieds et des côtelettes d’agneau dans le frigo. « Je ne sais pas ce que signifie réussir sa vie mais je sais que je vais remettre une pomme de pin dans le feu ».

Au-delà de son bonheur, c’est un roman dans lequel il dit merci, et dans lequel il se justifie. Ce n’est pas son testament, mais son roman de  L Egoiste Romantiqueremerciements et « d’excuses ». Il dit merci à une ex, merci à des amis, merci à sa femme, à ses enfants et merci à ses parents. C’est le roman d’un homme qui ne crache plus dans la soupe (comme il l’a souvent fait, notamment dans 99 Francs), conscient de la chance qu’il a de ne pas être ni mort ni seul à ce stade de sa vie. On sent cela en permanence : il dit merci à celles et ceux qui lui permettent de ne pas être devenu un solitaire déprimé dans un appartement parisien. Et il s’excuse d’avoir « joué au connard » au risque que les gens finissent par y croire. Il s’excuse d’avoir été obsédé par le sexe et par les lolitas des beaux quartiers parisiens, conséquences d’une enfance où son père le faisait traîner au milieu des plus belles créatures du monde.

Beigbeder dit merci, s’excuse, se justifie, fait le ménage dans son histoire. Et s’inquiète de son héritage : « Peut-être qu’un jour, mon semblable, mon frère, tu admireras cette hécatombe ». Il veut qu’on sache que la fête fût son remède contre la solitude et la timidité, veut que l’on se souvienne quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte, qu’il fût un homme qui a aimé, un homme qui fut un « amoureux à plein temps ».

Dans Un barrage contre l’Atlantique, l’Égoïste romantique a tué l’égoïste : « Quelle est la phrase qui rendra les gens heureux ? » se demande-t-il, sans se préoccuper de ce qui l’amusera lui en premier. Il parle des phrases « qui ont besoin des autres pour exister », pour mieux parler de lui. Dans Un barrage contre l’Atlantique, l’amour ne dure plus trois ans mais onze ans (4 000 jours). Dans Un barrage contre l’Atlantique, le jeune homme dérangé est devenu un sage à force de regarder la réverbération du soleil sur les vagues. Dans Un barrage contre l’Atlantique, les vacances dans le coma sont devenues des vacances dans le sofa. En le lisant, on se dit que c’est bien parfois de rentrer dans le rang, de faire aveu de gentillesse, de faire une pause le temps d’un roman. Mais ne serait-ce pas une ruse pour mieux nous endormir avant son prochain ? « J’aime trop désobéir, surtout à moi-même » nous dit-il.

Ces fragments de « Fred le bienheureux » qui remplissent Un barrage contre l’Atlantique lui permettraient alors de stationner dans cette époque surprenante et inquiétante, de faire une pause le temps que l’orage passe, de se garer pour de nouveau foncer quand tout ira mieux. Habile manœuvre d’un romancier à tiroirs que l’on espère voir danser avec nous encore quelques temps.

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