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Raffarin : “La poésie est une sortie de soi même”

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Nouvel épisode de la bibliothèque des politiques. L'invité de ce mois-ci est un ancien Premier ministre qui aime le verbe et qui fut notamment célèbre pour ses raffarinades qui mettaient une forme de poésie dans le débat politique. Jean-Pierre Raffarin a reçu Guillaume Gonin pour un entretien virevoltant où il fut question de Jacques Chirac, de leadership et de François Cheng, de Régis Debray, de Raymond Queneau, de François Jullien et de plein d'autres choses encore. Un moment politique et poétique !

Photos Patrice NORMAND

L’occasion était trop belle. Plusieurs semaines durant, Jean-Pierre Raffarin a entretenu un certain suspense, publiant sur les réseaux sociaux les couvertures des livres de sa bibliothèque idéale du leadership, en prélude à la parution de son ouvrage sur le sujet. Un teasing efficace. Or, le responsable de la bibliothèque des politiques ne pouvait décemment laisser passer ce qui ressemblait à s’y méprendre à une invitation à cette chronique. Je lui ai donc proposé d’y participer. Par bonheur, il accepta promptement – et nous déborderons allégrement des seules bibliothèques, ne perdant jamais de vue, pour autant, le lien aux livres comme nourriture spirituelle. Nous recevant, Patrice et moi, dans ses bureaux parisiens, où tout nous rappelle son ouverture au monde – et particulièrement l’Asie –, l’accueil chaleureux tranche avec la grisaille extérieure.

"Racontez-moi : que faites-vous dans la vie ?", s’enquiert celui qui fut le Premier ministre de mes années lycée – le plus étonnant étant moins cette question que la qualité de son écoute lors de ma (trop) longue réponse. Remarquant une biographie de Michel Rocard sur sa table, je lui évoque notamment le rôle décisif qu’a joué cet autre ancien Premier ministre dans mon propre parcours. Mon autobiographie terminée, je lui propose néanmoins d’entrer dans le vif du sujet à travers la genèse de ce livre qui semble lui tenir à cœur, pour de multiples raisons ; le point de départ d’une discussion inattendue, sinueuse et sincère, qui ravira le lycéen égaré qui sommeille en moi.

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Monsieur le Premier ministre, à l’occasion de la publication de votre livre consacré au leadership, vous avez donc partagé sur Twitter une quarantaine de livres, dont un certain nombre en anglais. Cette recherche s’inscrit dans le cadre des cours que vous donnez à l’ESCP. Pour autant, j’imagine qu’il ne s’agit qu’une partie de vos lectures sur le sujet …

Jp Raffarin 03Jean-Pierre Raffarin : En effet, cette bibliothèque-là comporte environ 150 livres. Mais je me suis arrêté à quarante d’entre eux qui contenaient l’essentiel. Et vous avez raison d’en souligner l’aspect international : car, si mon cours sur le leadership est né l’ESCP, il a tout de suite été développé avec l’ENA de la province Québec, au Canada.

Je me suis donc ouvert à toute la littérature nord-américaine sur le leadership, notamment la Harvard Business Review. Dans la presse américaine, on vous incite sans cesse à devenir un chef, et on vous promet de vous donner les clefs pour y parvenir. J’ai ensuite donné ce cours à Shanghaï, à la European and Chinese Business School – qui est une institution intéressante car fruit d’un partenariat biculturel entre la Commission européenne et la mairie de Shanghaï. Enfin, je l’ai également enseigné à Abidjan. Ainsi, j’ai approfondi mes connaissances sur le leadership sur ces quatre continents que sont la France, et l’Europe, l’Amérique du Nord, la Chine et l’Afrique.

En commençant par les États-Unis.

Jean-Pierre Raffarin : Oui, c’est ainsi que je me suis trouvé à suivre Barack Obama, ses campagnes électorales, sa pensée et sa pratique du leadership. Et je l’ai vu en pratique, en assistant à ses prestations ! Avant lui, je m’étais intéressé à Reagan (Run, Run, Ronny), aux Clinton, à Trudeau, à Jean Chrétien …

Dans votre livre, vous évoquez ainsi le pouvoir du couple Obama, et du rôle particulier joué par Michelle.

Jean-Pierre Raffarin : Oui, c’est vraiment surprenant. Je les ai vus dans un moment assez intense, un breakfast annuel où toutes les religions se retrouvent pour communier, avec des représentants de chaque culte. Les Obama en étaient les maîtres de cérémonie, et ce qui était frappant était le silence total quand Michelle Obama prenait la parole, captant l’attention naturellement. Pas un bruit de fourchette pendant que la première dame parlait : elle crée l’évènement !

"Le secret du pouvoir réside aussi dans l'art de rester en retrait"

En lisant votre livre, on se rend compte que vous avez théorisé le leadership à rebours, après l’avoir exercé, vous aussi, naturellement.

Jean-Pierre Raffarin : Oui, il a fallu que je travaille beaucoup. Bien sûr, j’avais une pratique du pouvoir, mais je ne connaissais ni la pensée africaine, ni la pensée chinoise sur ces questions. Je n’ai donc cessé de me nourrir par la lecture, en lisant Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf ou la pensée traditionnelle chinoise.

Quel livre serait fondamental pour chaque continent en matière de leadership ?  Jp Raffarin 09

Jean-Pierre Raffarin : Pour les États-Unis, c’est « Leadership : the Barack Obama way », de Shel Leanne, qui perce le mieux son style de leadership. Pour la Chine, c’est un petit bijou : « L’art de gouverner » de Han Fei Zi, qui montre comment le secret du pouvoir traditionnel chinois réside dans l’art de rester en retrait, le "non-agir".

Le chef est celui qui fait évoluer les choses de manière très discrète.

Un peu à la manière de la Reine d’Angleterre ?