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Gilles Cohen : “J’aime explorer la vie des gens”.

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Ernest inaugure cette semaine une nouvelle rubrique, cousine de Dans la bibliothèque des politiques, dans laquelle des personnalités du monde artistique nous livreront les liens qui les unissent aux livres et à la littérature, et comment ils se sont construits grâce à elle. Notre premier invité : Gilles Cohen,  "Moule à gaufres"  dans la série Le Bureau des légendes.

PHOTOS : Patrice NORMAND

Le hasard fait décidément bien les choses. En donnant rendez-vous à Gilles Cohen rue des Quatre-Fils, en plein cœur du Marais, pour la séance photo de notre interview, nous ne pouvions nous douter que nous l’invitions dans le quartier de son enfance. À peine arrivé, il nous apprend qu’il a fréquenté les bancs de l’école élémentaire située à 50m de là, sur le même trottoir. Puis ceux de l’école de la rue Chapon, situées à deux rues. "J’ai aussi habité rue du Grenier Saint-Lazare, dans le prolongement de la rue des Quatre-Fils. Et mon père travaillait rue du Bourg Tibourg, à 5 mn à pied d’ici." La nostalgie pointe le bout de son nez.

Plus tard, en prenant place à la brasserie La Terrasse des Archives, place Patrice Chéreau, il se souvient s’être "cassé la gueule à moto pendant le tournage d’une scène de 3 hommes et un couffin", juste devant la fontaine des Haudriettes, à 5 m de nous. Bref, vous l’aurez compris, Gilles Cohen joue à domicile, et c’est tant mieux.

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Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?

Gilles Cohen : Ils sont assez diffus. Je suis né dans une famille où il n’y avait pas de livres. Nous n’avions que la télévision comme "partenaire social". Notre quotidien se résumait à la famille, aux cousins, et la vie suivait son cours de façon somme toute assez banale, avec une éducation confiée d’un point de vue moral à la famille et d’un point de vue culturel à l’école de la République.

Cette absence de livres vous a-t-elle manqué ?

Gilles Cohen : Pas vraiment car je ne connaissais pas la littérature au départ. J’entretenais un rapport avec la fiction uniquement à travers la TV. Mais à l’époque c’était autre chose qu’aujourd’hui : en début de soirée on diffusait des pièces de théâtre, on adaptait Dickens ou Pirandello, il y avait pas mal de programmes pour la jeunesse... Nous n’avions pas du tout le même rapport aux médias que celui qu’ont les jeunes aujourd’hui. Puis à l’âge de douze ans mes parents ont déménagé dans l’est de Paris et j’ai été affecté au lycée Voltaire. Là-bas, je suis tombé sur une professeure de lettres - Madame Moreau - qui était passionnée de théâtre et qui m’a fait découvrir les grands écrivains classiques. Mais ce qui était fou à l’époque, à Voltaire, c’est que beaucoup de profs étaient écrivains, journalistes ou chroniqueurs dans des magazines littéraires !  Ils ne supportaient pas que l’on soit incultes et nous imposaient de lire au moins un livre par semaine. Ce sont eux qui m’ont initié la littérature.

Vous avez déclaré dans un entretien accordé il y a quelques temps à France Culture que vous êtes devenu français grâce à Molière, que voulez-vous dire par là ?

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Gilles Cohen : Molière a eu un rôle prépondérant dans mon apprentissage. Il m’a ouvert les yeux sur le pouvoir de la langue française. À Voltaire, nous disposions d’une salle dans laquelle madame Moreau animait des ateliers théâtre et j’ai eu l’occasion pendant toute la durée de mon secondaire d’interpréter des personnages de son répertoire. Ce qu’il y a de formidable avec lui, c’est qu’il était à la fois acteur et auteur.

Non seulement ce qu’il a écrit est remarquable, mais il a le don de vous transmettre à travers ses textes le rythme et les ingrédients sur lesquels vous devez composer votre rôle.

Il vous mâche le travail ! En lisant ses pièces je sentais qu’il y avait de la malice, que l'on pouvait improviser, par exemple parler arabe ou baragouiner n’importe quoi comme le « Mamamouchi » dans le Bourgeois Gentilhomme, ce qui me parlait vu que ma famille venait d’Afrique du Nord.

Quel a été votre premier coup de cœur littéraire ?

Gilles Cohen : Adolescent j’ai été marqué par Martin Eden de Jack London, ou Crime et Châtimentde Dostoïeveski. J’ai dévoré beaucoup de littérature classique, des biographies, des autobiographies, pour savoir qui faisait quoi à des moments clé de l’Histoire par exemple. Il y a un côté enquête dans ces livres qui me plait bien. En fait, j’aime explorer la vie des gens. Par exemple j’ai découvert il y a peu un très bon livre paru dans l’anonymat en Suisse en 1943 et qui a refait surface récemment chez Emmaüs, à Nice : Rien où poser sa tête.  Il s’agit du journal d’une réfugiée juive en France sous l’occupation, Françoise Frenkel. On ne savait rien d’elle et l’éditeur a dû mener une véritable enquête pour rassembler le peu que l’on sait désormais. Cette femme née en Pologne a notamment ouvert en 1921 la première librairie française à Berlin : La maison du livre. Ce genre d’anecdote me fascine !

Quelle trace ont laissé vos professeurs dans votre parcours ?

Gilles Cohen : Le goût de la curiosité, du mot juste, du vocabulaire. Mais je n’ai pas comblé toutes mes lacunes. Je regrette de ne pas avoir suffisamment poussé mes études pour mieux maîtriser l’esprit de synthèse par exemple.