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FH-Désérable : “On tombe amoureux malgré soi”

F H Deserable 06

Rencontre passionnante avec François-Henri Désérable, grand prix du roman de l'Académie française pour son magnifique roman "Mon maître et mon vainqueur". Où il est question d'amour, de littérature, et d'écriture.

Photo Patrice Normand

Au cœur de l’été, alors que la préparation de la rentrée littéraire démarrait avec les lectures des livres à paraître, celle du roman de François-Henri Désérable « Mon maître et mon vainqueur » était l’une des plus saisissantes. Sur ce que sont les rencontres. La vie, l'envie et la déraison. Le tout avec Verlaine en toile de fond. À l'évidence ce livre serait l’un des ouvrages majeur de la rentrée. et l'un des coups de cœur d’Ernest. La suite nous donna raison puisque Désérable s'est vu gratifier du grand prix du roman de l’Académie Française. L’occasion était donc belle de partir à sa rencontre pour parler avec lui de la passion amoureuse, de l’écriture, de littérature et de ce qui meut les écrivains.

Vous venez de remporter le « Grand Prix du roman de l’Académie française », cela change quoi dans la vie d’un auteur de recevoir une telle récompense ?

F H Deserable 02FH-Désérable : La première chose que je veux dire c’est qu'être récipiendaire d’un prix littéraire n’est pas un gage absolu de la qualité d’un livre. De très grands auteurs n’en n’ont jamais reçus et d’autres moins intéressants ont été couronnés. Je crois donc que l’on ne peut pas trop s’enorgueillir d’avoir été lauréat d’un grand prix littéraire. Ni d’avoir un succès public ou d’avoir beaucoup de retombées presse et de traductions. Pour autant, je suis heureux à plusieurs égards d’avoir été lauréat de ce prix. D’abord parce que je n'ai vraiment commencé à lire et surtout à écrire qu'à 18 ans, après avoir été joueur de hockey professionnel, et après ma lecture de « Belle du seigneur » d’Albert Cohen, lui aussi lauréat du Grand Prix de l'Académie française en 1968. Me retrouver près d’un demi-siècle plus tard sous la coupole de l’Académie et voir mon livre ceint du même bandeau que celui d’Albert Cohen revêt une charge symbolique et émotionnelle forte.  Intimidante. C’est un beau clin d’œil à mon histoire personnelle. Tout comme il est très émouvant de faire partie d’une liste de lauréats qui compte des écrivains que l’on admire comme Pierre Michon, Jonathan Littel ou encore Patrick Modiano. Ils font tous partie de ma formation littéraire.

Plus prosaïquement, cela permet aussi d’assurer les conditions matérielles de mon mode de vie qui se résume à deux activités : lire et écrire. A chaque fois que je publie un livre, je ne sais pas s’il va marcher et je m’interroge toujours pour savoir si je pourrais continuer de m’adonner entièrement à la littérature. Ce bandeau rouge du prix va amener le livre vers de nouveaux lecteurs et de nouvelles lectrices.

La dédicace-exergue du livre, « bien à toi », m’a intrigué. Vous nous racontez la genèse ?

FH-Désérable : Il serait vain quand on écrit une histoire d’amour passionnelle de prétendre qu’elle n’aurait pas été inspirée d’une ou de plusieurs histoires d’amour vécues. J’ai écrit ce roman suite à un chagrin d’amour, et en réalité je n’ai pas commencé à écrire une fiction, mais des poèmes. Démarche assez peu originale tant les chagrins d’amour conduisent souvent vers la poésie. Mon projet initial était de publier ce recueil de poèmes. Finalement, je me suis ravisé pour enrober quelques-uns de ces textes de fiction, en m'appuyant sur la passion amoureuse qui lie les personnages de Vasco et de Tina. Ce « bien à toi » est directement lié à une formule de politesse qu’on m’a écrite. Un jour, j’ai envoyé un message à une femme que j’ai follement aimé et auquel elle m’a répondu d’une missive froide conclue par cette formule de politesse. Que des lèvres qui avaient brûlé d’une folle ardeur aient été capables de prononcer ces trois mots cliniques, froids et durs, a provoqué une véritable déflagration en moi. D’où l’idée de la dédicace « bien à toi » qui, un temps, fut le titre du roman avant que je tombe sur les vers de Verlaine « Est-il sensible ou moqueur, Ton cœur ? Je n’en sais rien, mais je rends grâce à la nature d’avoir fait de ton cœur mon maître et mon vainqueur ».

F H Deserable 03Cet amour sublime et violent entre Vasco et Tina laisse-t-il une trace positive, ou bien la passion amoureuse est forcément un souvenir douloureux ?

FH-Désérable : La première acception de la passion est la passion du Christ, c’est-à-dire les souffrances endurées par lui. La passion amoureuse vient nécessairement avec son cortège de douleurs, de supplices et de désillusions. Les empreintes laissées sont donc profondes.

Néanmoins, il y a un passage que j’adore dans « On ne badine pas avec l’amour » de Musset qui dit toute la beauté mystérieuse de la passion. Je vais le retrouver (FH-Désérable cherche son exemplaire du livre de Musset et lit) : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelques fois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ».

Au moins, si on doit retenir une chose de cette histoire c’est que Vasco et Tina ont vécu. Ils ont aimé, ils ont souffert, mais quand ils se retourneront sur leur vie, ils pourront s’enorgueillir d’avoir été traversé par ce feu qui brûle, qui dévaste et qui laisse bien souvent l’histoire d’amour en cendres.