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Osez le polar australien

Joey Csunyo 2EGuIR00UTk Unsplash

Ce mois-ci, dans ses regards sur le noir, Philippe Lemaire nous emmène en Australie. Une plongée passionnante dans le roman noir australien, et dans une littérature noire pleine de poésie.

Les auteurs des antipodes savent nous mettre la tête à l’envers. C’est que les brusques colères de la nature sauvage habituent les Australiens aux émotions fortes. Cette chaleur qui fait griller la brousse à des centaines de degrés, cette sécheresse qui tue, ces courants marins qui noient. Logique que les protagonistes de leurs romans aient souvent l’air de se demander s’ils ont bien fait d’être là. D’autant qu’ils apparaissent régulièrement amochés par leur passé, dans un ailleurs qu’ils ont fui ou dans un moment de l’Histoire qui les poursuit.

Lost ManDans « Canicule », titre-phare de Jane Harper, porté à l’écran en 2020, le héros déboule ainsi en plein drame dans le village de son enfance (un endroit perdu, ce n’est pas ce qui manque). Il est comme transporté dans l’espace et le temps, son expérience d’adulte en plus. Un crime non résolu le confronte à ses remords et ses secrets mal digérés, comme mis à nu. Ce même schéma de l’examen de conscience se retrouve de livre en livre, accommodé à la mode « aussie », entre Far West fantasmé et polar moderne, comme l’illustrent plusieurs parutions récentes.
La même Jane Harper, moins inspirée dans le mélo intimiste « Les survivants », son dernier livre (Calmann-Lévy, 2021), avait auparavant confirmé toutes les qualités de « Canicule » dans « Lost Man » (même éditeur, 2019). Cet homme perdu est un fermier égaré loin de son foyer, sans véhicule et sans eau, retrouvé mort par 50°C, desséché, dans l’ombre dérisoire d’une stèle funéraire. Un drame auquel l’auteure donne des proportions uniques en jouant de la topographie de l’« outback », des distances et du relief.
Sous cette chaleur vibrante, avec le plus proche voisin à une journée de route, une jalousie, un amour contrarié ou une dette peuvent mener au pire. Au milieu d’une galerie de personnages secondaires brutaux, Jane Harper introduit la voix dissonante d’un héros solitaire et rejeté, revenu expier sa propre culpabilité auprès de ses proches. Sans fausse note ni pathos excessif, elle développe de bout en bout une musique subtile, harmonieuse.