“On a beau s’attendre au pire, il nous surprendra toujours. Et si, par malheur, il nous arrive d’atteindre le fond, il dépendra de nous, et de nous seuls, d’y rester ou de remonter à la surface. Entre le chaud et le froid, il n’y a qu’un pas. Il s’agit de savoir où mettre les pieds. C’est très facile de déraper. Une précipitation, et on pique du nez dans le fossé. Mais est-ce la fin du monde? Je ne le pense pas.” Ces mots sont de Yasmina Khadra. Ils sont tirés de son magnifique livre “L’attentat”.
Comme à chaque fois qu’un nouvel embrasement gagne le Moyen-Orient, on relit ce livre. Comme à chaque fois, on reste ébahit, révolté, et triste. Comment peut-on en être encore là ? Comment les images de la fameuse poignée de main entre Rabin et Arafat en 1993 peuvent-elles être aussi couleur sépia ? Comme à chaque fois, on cherche, on tâtonne, on se demande comment cela peut-il s’arrêter ? Comme à chaque fois, les mots extrêmes entendus des deux côtés creusent encore un peu plus le fossé et rendent toujours plus difficile la fin de ce conflit. Comme à chaque fois, ce que l’on en entend ici en Europe et en France paraît excessif, complètement à côté de la plaque, et surtout bien éloigné de la réalité de ce que vivent les deux peuples. Comme à chaque fois, des pères vont dire ce que nous dit l’un des pères du magnifique roman de Colum McCann “Apeirogon” (Ernest vous en parlait ici).
“Mon nom est Rami Elhanan, je suis le père de Smadar. Je répète cette phrase chaque jour, et chaque jour elle devient quelque chose de nouveau parce que quelqu’un d’autre l’entend. Je la dirai jusqu’au jour de ma mort, et elle ne variera jamais, mais continuera d’ouvrir une minuscule brèche dans le mur jusqu’au jour de ma mort. Qui sait où s’arrêtent les choses ? Les choses continuent. Ainsi va le monde. Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire ? Je ne suis pas sûr de pouvoir vous dire exactement ce que je pense. Nous avons des mots, mais parfois ils ne suffisent pas.”
Les mots ne suffisent pas. Ne suffisent plus. Et pourtant ils sont notre seule boussole pour dire la complexité, le gris, la tristesse, le sentiment d’impuissance, la révolte devant ce que l’on entend et ce que l’on voit, mais aussi la difficulté de raconter tout ce qui se passe là-bas. Seuls les mots peuvent peut-être, finalement, créer des ponts. Se souvenir d’avoir lu, toujours dans “Apeirogon”, les mots suivants : “tout ce qui crée des liens émotionnels entre les êtres humains combat inévitablement la guerre.”Ce qu’il fallait viser était un sentiment de communauté et une mythologie des instincts”.
Et l’envie de créer par la culture des liens, justement. De partir pour y participer. Comme ce personnage du roman de Sorj Chalandon “Le quatrième mur” qui espérait par le théâtre rapprocher ces deux peuples qui paraissent si éloignés et qui sont pourtant si proches. “Tout Juif de Palestine est un peu arabe et aucun Arabe d’Israël ne peut prétendre ne pas être un peu juif”, écrit Khadra avec justesse dans “L’attentat”. Des mots ? Peut-être. Utopique ? Certainement. Mais ces mots sont des armes. Les nôtres. A force de mots peut-être que l’on comprendra mieux les maux pour, enfin, les soigner. En attendant relisons, aussi, ceux de Léo Ferré.
“Des armes au secret des jours
Sous l’herbe, dans le ciel et puis dans l’écriture
Des qui vous font rêver très tard dans les lectures
Et qui mettent la poésie dans les discours
Des armes, des armes, des armes
Et des poètes de service à la gâchette
Pour mettre le feu aux dernières cigarettes
Au bout d’un vers français”
Bon dimanche avec des mots,
Photo de Une : crédit DM
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