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L’angoisse du romancier au moment de la métaphore

Jannes Glas CuhQcfp3By4 Unsplash 1500x839

Dans ce nouvel épisode du cabinet des mythologies littéraires, Paul Vacca métaphorise. Ou pas. Et surtout, il se demande comment la métaphore peut ou non exister. Et si un complot existait contre cette figure de style ? Quelle angoisse ! La même que celle du gardien de but au moment du pénalty ! Vivifiant.

Mythologie Littéraire n°6 : la métaphore

C’est un statut, aperçu il y a quelques années sur Facebook — vous savez, ce réseau social où le mot « ami » doit être pris au sens métaphorique — qui nous a incidemment mis sur la voie. Visiblement, quelque chose se tramait contre la métaphore.

 

Qui utilise encore des métaphores dans les romans ?

La métaphore est morte.

Ce statut reçut de nombreux petits pouces bleus - signifiant métaphoriquement “j’aime” – et moult commentaires appelaient à sa disparition. La métaphore, de toute façon ringard, dépassé, has-been. De la métaphore faisons table rase.

Un complot contre la métaphore

Bref, une sorte de conspiration s’ourdissait sourdement. Mais qui étaient ces complotistes ? On a cru comprendre qu’ils se définissaient comme les tenants du roman vrai – qui visiblement à leurs yeux constituait aussi le vrai roman. Pour eux, la métaphore, en tant que figure rhétorique de la comparaison, était un outil artificiel et inutile dans l’économie narrative d’un roman aujourd’hui. Un travestissement ou une béquille. Au mieux une affèterie d’un autre âge. La « vérité », pour eux, réside dans le mot pur garanti sans comparant inutile. C’est seulement débarrassé de son vernis et de ses effets de style métaphoriques que le texte peut espérer atteindre au réel. À la métaphore, ils préfèrent l’« écriture blanche » [1], le « style dégraissé » ou encore « l’écriture à l’os ».

Soit. Toute révolution est bonne à prendre. Mais, curieux, on s’est aussitôt demandé si beaucoup de romans survivraient au dogme du 0% métaphore.

L EtrangerExit, toute la littérature de geste et les cycles médiévaux, le Don Quichotte, les romans picaresques et les contes passeraient par-dessus bord ; toute la littérature libertine et préromantique du XVIIIème sombrerait elle aussi corps et biens ; puis l’ensemble des romans du XIXème, populaires ou non, les romantiques évidemment mais même les plus « réalistes » ou plus « naturalistes » d’entre eux, car avec des titres comme La Bête humaine, l’Assommoir ou La Curée ils seraient immédiatement mis à l’index pour hérésie métaphorique avant même d’être ouverts.

Quant à La Recherche du Temps perdu, inutile de préciser qu’un dégraissage métaphorique risquerait de réduire l’œuvre à une simple phrase sur un ticket de métro : « Longtemps je me suis couché de bonne heure pour devenir écrivain à Temps ».

Les flux de conscience de Clarissa dans Mrs Dalloway  de Virginia Woolf comme ceux de Molly dans Ulysse ne pourraient pas non plus être sauvés.

L’Étranger de Camus quant à lui résisterait plus longtemps à l’opération. Car il faut un œil exercé pour y débusquer ici ou là quelques éclats métaphoriques tant le narrateur se tient à la surface des choses, s’il n’y avait les deux lignes comparatives ténues, fondues dans le texte comme des motifs cachés dans un tapis, autour des deux éléments « mer » et « soleil » (dont le nom du héros « Meursault » constitue en quelque sorte l’antonomase) : « une cymbale de soleil », «  les cargos dans le port brûlant de soleil », « j’étais noyé dans le bruit »…

Cherchant désespérément à sauver ne serait-ce qu’un roman des mains des conspirationnistes anti-métaphore, on se saisit CVT Passion Simple 6831alors de Passion simple d’Annie Ernaux. Confiant. Presque les yeux fermés. On l’ouvre au hasard, parcourant les pages, fasciné par cette écriture précise et sèche, rétive à toute libido metaphorandi. Une maîtrise parfaite. Aucun sortie de route métaphorique. Quand, soudain, au moment de refermer le livre, c’est le drame ! On parcourt le prologue, et patatras, on la voit qui se tient là, cachée en pleine lumière, telle la lettre volée d’Edgar Poe : oui, une sublime métaphore sur l’acte d'écrire se tient sur le seuil du livre [2].

Alors le doute s’immisce. Peut-on seulement écrire un roman sans métaphore ? D’ailleurs les complotistes du « roman vrai » ne sont-ils pas les premiers à pécher contre leur dogme. Le « style dégraissé », l’«écriture à l’os », ou même l’« écriture blanche » ne sont-elles pas elles-mêmes des expressions métaphoriques ?

Balayez les métaphores comme des feuilles mortes !

Pourtant l’idée est bougrement séduisante. Un roman sans métaphore, voilà un défi qui devrait faire sauter au plafond les amateurs de gageures littéraires : oulipien en diable, son thème pourrait être opportunément celui de la disparition de la métaphore.