Cette semaine, Frédéric Potier a lu l’essai documenté de Corinne Lhaïk “Président cambrioleur” qui analyse la pratique du pouvoir d’Emmanuel Macron suite à son accession surprise à l’Elysée en 2017. Emmanuel Macron est-il Arsène Lupin ?
Chers ernestiens, chères ernestiennes,
En ce début d’année 2021, par la magie des hasards des cadeaux de Noël, il m’a été offert l’ouvrage de la journaliste Corinne Lhaïk consacré à Emmanuel Macron. J’avoue que j’ai été un brin gêné. Un préfet de la République peut-il sans briser son devoir de réserve lire publiquement cette enquête intitulée « Président cambrioleur », laissant ainsi penser qu’il existerait une vague filiation entre Macron et Arsène Lupin ?
Finalement, comme j’ai trouvé ce bouquin empaqueté sous un sapin de Noël en Bretagne et non pas sous un portrait officiel dans un ministère, et que l’Elysée a largement ouvert ses portes à l’auteure, je me suis autorisé à lire pour vous puis à chroniquer un livre traitant du parcours du 8e président de la Ve République.
Alors, levons immédiatement un possible malentendu : Emmanuel Macron n’a en rien “volé” l’élection présidentielle de 2017, son élection a été vérifiée et validée par de nombreuses instances. Le livre de Corinne Lhaik ne verse heureusement pas dans un Trumpisme débilitant dont on a hélas mesuré toute la dangerosité ces derniers jours.
En revanche, il n’est pas inutile de rappeler qu’Emmanuel Macron est apparu, un peu comme effraction, comme une comète incandescente dans l’univers politique français suscitant de multiples interrogations tant sur ses convictions profondes que sur sa pratique du pouvoir déroutant jusqu’à ses anciens fidèles. Et il faut bien reconnaître que la trajectoire politique de l’astre présidentiel depuis 2017 a de quoi dérouter. Comme me le confiait un ancien conseiller politique de la majorité présidentielle légèrement désarçonné : « on pensait avoir voté pour Justin Trudeau en 2017, et on se retrouve en 2021 avec un mix de Chevènement et de Villiers ». Et c’est précisément là que l’essai de Corinne Lhaïk prend tout son sens.
Ayant suivi l’ascension d’Emmanuel Macron dès 2011 pour L’Express puis pour L’Opinion, son travail nous permet de mieux comprendre la conquête de l’Elysée puis l’exercice de l’Etat avec quelques clés de lecture. L’ouvrage ne se veut pas une charge sans concession à la Francois Ruffin ou à la Michel Onfray. Pas non plus de critique en coupe réglée de la politique fiscale ou de la stratégie sanitaire, mais une description sans complaisance excessive, avec moult anecdotes, des coulisses du pouvoir auxquelles l’auteure a eu un accès privilégié.
Sans livrer de scoop spectaculaire on comprend mieux le rôle fondamental joué par Brigitte Macron mais aussi par une poignée de fidèles qu’ils soient vieux briscards (Bayrou, Collomb, Ferrand) ou jeunes technos. Une chose frappe immédiatement le lecteur : le sentiment de solitude que pointe avec justesse la plume de Corinne Lhaïk. Les poids lourds gouvernementaux Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Jean-Yves Le Drian sont à peine mentionnés. Certains ministres très médiatiques pas du tout.
Est tout aussi finement décortiquée la rupture surprise avec Edouard Philippe, populaire Premier Ministre, qui avait le tort de prendre un peu d’autonomie par rapport à l’Elysée et d’incarner peu à peu une forme de recours en pleine crise sanitaire.
Car si Emmanuel Macron a réussi le « casse politique du siècle » en 2017, il le doit sans conteste à ses exceptionnelles capacités de séduction et à sa foi inébranlable dans son destin personnel. En cela, la comparaison avec Arsène Lupin prête à sourire. Wikipedia ne décrit-il pas ce personnage de fiction créé par Maurice Leblanc comme « un gentleman cambrioleur particulièrement connu pour son talent à user de déguisements et changer d’identité » ?
Plus difficile sera cependant à Emmanuel Macron d’aborder la prochaine campagne en tant que président sortant avec un bilan à défendre. Comme l’indique l’auteur « en 2022, Macron ne sera plus prince charmant, mais comptable. Son bilan lui sera opposé ». Rappelons en effet que seulement deux présidents, Mitterrand et Chirac, sont parvenus à se faire réélire. Et encore avec des circonstances exceptionnelles pour le second.
Le cambrioleur sonnera-t-il deux fois ?
Or à toujours se retrouver presque seul en première ligne sur tous les sujets (gilets jaunes, coronavirus, politique internationale, terrorisme…), Emmanuel Macron ne prend-il pas le risque de s’exposer de manière disproportionnée à tous les mécontentements ? A vouloir construire un chemin politique très personnel, piochant (pillant diraient certains) avec pragmatisme dans les références idéologiques de toutes les familles politiques (Maurras un jour, Daniel Cordier le lendemain) ne prend-il pas le risque de dérouter les citoyens ?
Premières réponses au cours de l’année 2021, et verdict en avril-mai 2022. Après tout, il n’est pas complètement impossible qu’Arsène Lupin-Macron tombe sur un Sherlock Holmes de droite, un commissaire Jean-Baptiste Adamsberg de gauche, une capitaine Marleau gauchiste ou un Hercule Poirot écologiste. Les paris sont ouverts.
“Président cambrioleur”, Corinne Lhaïk, Fayard.
Ces essais politiques sont lassants. En lisant votre article j’ai encore moins envie de lire ce livre. Vous semblez, comme tous ces éditorialistes, journalistes, commentateurs politiques et donc préfet(!), dominer la scène politique de votre immense perspicacité, conseillant les rois, la cour, les opposants, critiquant au passage une politique que vous évaluez sans modestie. Descendez de votre escabeau d’élite parisienne, aidez nous à avoir envie de lire des essais politiques, de vrais.