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“Sucer en confinement”

Ernest Mag Peltier Sucer Confinement

Après son article “vous nous faites chier“, devenu cri de ralliement contre les pisse-froids et les bigots qui nous emmerdent après l’assassinat de Samuel Paty, et l’attentat de Nice, Jérémie Peltier est de retour. Il est en forme olympique. Jugez plutôt.

Aaaaaaaaaaaaaaaah ! Nous sommes enfin tranquilles ! Merci Président. Rien de tel qu’un petit confinement pour recharger les batteries d’un peuple qui bosse beaucoup trop et qui a besoin de vacances régulièrement. Par ailleurs, rien de plus sécurisant que le confinement pour des gens qui risquent de se faire couper la tête à tous les coins de rue en sortant. On ne va pas se mentir, le confinement, c’est une vraie assurance vie pour garder la tête sur les épaules, même si depuis dix jours, on s’est tous fait tatouer « Que trépasse si je faiblis » sur l’avant-bras car on est courageux et prêts à aller au combat (et surtout prêts à se faire tatouer : sachez que sept millions de personnes sont désormais tatouées en France, soit 14 % des plus de 18 ans, contre 10 % en 2010[1]).

Pour commencer, une petite histoire

Du coup, toute cette actualité m’a rappelé une petite histoire que j’avais dans un coin de la tête et que je vous livre comme ça en guise de bonjour.

Un petit garçon qui s’appelait Victor était très gentil. Mais très handicapé – ce qui n’est pas incompatible. Il n’avait malheureusement pas de bras et malheureusement pas de jambes. Il n’avait pas de tronc non plus. En somme c’était juste une tête. Une tête jolie oui, mais juste une tête.

Ses copains à l’école l’adoraient. C’était le plus drôle et évidemment le plus original de la cour de récréation. Et par ailleurs, la petite particularité de Victor ne se voyait absolument pas lorsque ses copains prenaient des selfies avec lui, ce qui le rendait presque « comme tout le monde » sur Instagram.

Le jour de son anniversaire, c’est tout naturellement que ses copains souhaitaient lui offrir un cadeau pour fêter cela. A la pause du midi, ils prirent Victor avec eux, le posèrent sur une table au milieu de la classe (« le posèrent » ? oui, c’est juste une tête, ne l’oublions pas), et lui apportèrent le cadeau commun (obtenu grâce à une cagnotte Leetchi, cela va sans dire).

Victor, ému, commença à l’ouvrir à l’aide de ses dents, en tirant la ficelle qui entourait le paquet puis en arrachant le reste du papier, toujours avec ses dents.

Mais le paquet ouvert, ses yeux s’assombrirent quelque peu, marquant la déception qu’il avait en découvrant le contenu : « Oh non, encore un chapeau »

IMG 3129Mais passons. Gardons la tête froide. Revenons aux choses sérieuses. Depuis deux jours donc, on a la chance d’avoir notre deuxième pause obligatoire de l’année, moment de repos salvateur pour refaire un point sur nos vies. Et malgré cela, malgré cette chance inouïe qui nous est offerte, je vois des choses insupportables se produire.

Alors d’abord, il y a un truc qui me trotte dans la tête et que je dois vous dire. Les petits messages postés sur les réseaux sociaux comme « Allez c’est reparti » ; « Rebelote » ; « Dernière bière avant confinement » ; « On prend les mêmes et on recommence » ; les petites photos de votre canapé à base de « Retour sur mon lieu de travail qui m’avait tant manqué » : honnêtement, ça va s’arrêter quand ? C’est plus supportable. Parlez à mon cul ma tête est malade.

Et les photos des canards devant la Comédie française ? Ça va s’arrêter quand ça aussi ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre des canards devant la Comédie française, vous pouvez me le dire ? Ça nous fait une belle jambe, des canards devant la comédie française. Je me demande ce que Maïté en aurait fait des canards devant la Comédie française.

Ensuite, pour continuer dans l’insupportable, on voit les critiques se multiplier sur le confinement, les gens twittent de partout, les maires résistent comme de vaillants chevaliers, et les fous du travail rentrent en rébellion, prêts à en découdre avec le roi. C’est une véritable mutinerie que l’on voit se dessiner sous nos yeux, ce qui laisse supposer un beau bordel à venir. Je vous en mets ma main à couper.

Et ça râle, sur tout. Ça râle car la femme de ménage n’est plus disponible à la demande, et que votre appartement va encore être crade et souillé jusqu’au cou. Un petit conseil au passage, signé Jean Yanne, pour mieux gérer votre logis déjà sens dessus dessous :

« J’ai jamais compris l’intérêt qu’il y avait à faire le ménage. On fait son lit, on balaye, on lave les plaques et la table de la cuisine, et trois mois après, tout est à refaire » [2].

Prenez-en bonne note pour anticiper le confinement numéro 3 et éviter une charge mentale inutile lors du confinement numéro 2. Ne me remerciez pas, c’est cadeau.

Mais pourquoi tant de haine ?

Ça râle ça râle, alors qu’en plus, ça se fait la malle et ça fuit le confinement en deux temps trois mouvements (comme si les mecs n’avaient pas vidé leurs valises de l’Île de Ré depuis la dernière fois), à en voir les kilomètres de bouchon jeudi soir dans la seule ville de France qui compte, Paris.

Apocalyse Jean Yanne ErnestUne dinguerie sans nom, un spectacle terrifiant. Des klaxons à gogo. Sentiment d’être dans le roman génial de Jean Yanne, L’apocalypse est pour demain. Ou les aventures de Robin Cruso, dans lequel la vie entière, de la naissance jusqu’à la mort, se passe désormais dans les voitures, ce qu’il appelle la « civilisation automobile » :

« Autour de moi, les automobiles formaient une mer de toits, un océan de capots où déferlaient des vagues de chromes. Le spectacle eut été beau sans le son qui l’accompagnait. Les cris de rage et les longs gémissements de désolation des conducteurs n’ayant pas réussi à trouver une place, se mêlaient aux klaxons agonisants des voitures qui rendaient l’âme pour avoir trop tourné et aux râles des automobilistes sur lesquels les contractuels s’acharnaient en ahanant pour les punir d’un stationnement abusif. Comme toujours dans ces cas-là, j’étais terrorisé »[3].

Mais pourquoi tant de haine soudainement ? Pourquoi cette désertion et cette détestation ? Je ne comprends pas, vous préfériez le couvre-feu ? Ce moment de grand n’importe quoi, où à 20h45, on baignait dans une ambiance Fort Boyard (« Felinddraaaaa tête de tigre ») lorsque l’on entend brailler Miss France « Sors sors sors » quand le sablier se vide et que Matt Pokora n’a pas terminé de manger toutes les sauterelles ?

A 20h45 en couvre-feu, tout le monde s’excitait. Les nouveaux cyclistes du dimanche, sortes de Playmobil en cuissards, se cassaient la gueule, renversés par les motards du dimanche en scooter électrique, eux même renversés par les SUV des grands bourgeois se pressant de rentrer d’un dîner bien arrosé débuté à 18h. Car oui, pendant toute cette période de couvre-feu les amis, nous nous sommes mis, nous Français, à dîner à l’heure anglaise. La honte, la honte, la honte, pour un pays dont l’heure moyenne du dîner est 20h15.

Par ailleurs, je vous rappelle que le couvre-feu obligeait les célibataires (les vrais combattants à la tête bien faite) à rester dormir chez l’amoureuse ou l’amoureux en question, ce qui, honnêtement, modifiait considérablement les règles du jeu, la possibilité de partir une fois les corps rassasiés étant quand même au cœur des avantages du célibat :

Elle :  Il est quelle heure ?

L’Autre : Il est l’heure.

Elle : Je me suis endormie ! Ça fait longtemps que je me suis endormie ?

L’Autre : Non, non. Tu étais dans mes bras.

Elle : Je rêvais. Tu t’en vas ?

L’Autre : Oui. Il est l’heure.

Elle : L’heure de quoi ? Tu ne veux pas dormir ici ?

L’Autre : Non, c’est gentil. Je crois que c’est mieux si je rentre maintenant. Mais rendors toi [4].

Course effrénée, obligation de rester dormir : c’était ça la société idéale que vous défendiez par rapport au confinement ? Une société qui nous oblige à rester jusqu’au petit matin, alors qu’on sait pertinemment qu’un matin, ça ne sert à rien ?

Au moins, depuis jeudi, la situation est claire. Plus de situations embarrassantes ni d’excitation soudaine face au temps qui tourne. Chacun chez soi, un point c’est tout.

Alors oui j’entends que ça pleure car avec le confinement, les bars sont fermés. J’ai envie de vous dire que c’est faux, archi faux. J’aimerais vous rappeler qu’il y a le Allawak Bar, qui ne ferme jamais. Celui de Nice a organisé une soirée privée il y a peu, je ne sais pas si vous avez vu.

HouellebecqAlors ça pleure aussi car on ne peut plus faire la fête et que les boîtes de nuit sont toujours fermées. La fête, la fête. Vous ne pensez qu’à ça ? A être dans ce moment primitif et animal ? Quand est-ce que vous allez comprendre qu’on ne s’amuse pas sur commande, qu’on ne s’amuse jamais quand c’est « prévu à l’avance », comme le dit Houellebecq dans un article intitulé « La fête » republié dans Interventions 2020[5] :

« Le but de la fête est de nous faire oublier que nous sommes solitaires, misérables et promis à la mort ; autrement dit, de nous transformer en animaux (…). En résumé, il suffit d’avoir prévu de s’amuser pour être certain de s’emmerder. L’idéal serait donc de renoncer totalement aux fêtes. Malheureusement, le fêtard est un personnage si respecté que cette renonciation entraine une dégradation forte de l’image sociale ».

Ah oui, et je vois que ça pleure aussi sur les mesures d’ouverture et de fermeture de certains commerces, et que le truc branchouille du moment, c’est de défendre les librairies et de défoncer la FNAC à coups de haches et de hashtag. C’est nouveau ça encore. Depuis quand les gens sont devenus intelligents et veulent acheter des livres ? Ahahahaha ! Première nouvelle ! Merci de nous prévenir ! De plus, vous avez bon dos de cracher sur la FNAC alors qu’elle vous a bien sauvé votre Noël dernier quand vous avez acheté au dernier moment grâce à vos chèques KDOK cette merveilleuse smartbox « Trois jours romantiques en Bretagne » pour votre nièce et son petit copain dont vous aviez oublié l’existence et dont vous vous foutez éperdument.

Et cette année, vous serez encore bien content de faire vos achats de Noël pendant le confinement et de trouver à la FNAC la toute nouvelle Barbie, « Barbie décapitée », avec 4 têtes fournies dans le coffret (possibilité au choix de mettre la tête d’une petite fille, d’un petit garçon, d’une grand-mère ou d’un non binaire).

Pour résumer les amis, mon message est le suivant : au-delà de l’aspect sécurisant qu’il revêt, essayez de prendre conscience de la chance que vous avez d’être de nouveau confinés et cessez un peu de râler. D’une part, le confinement vous évite d’emmener vos gosses à une soirée Halloween. Et personne ne sonnera à votre porte pour vous demander des friandises (au grand dam de Marc Dutroux, électricien de profession ne l’oublions pas).

D’autre part, tout n’est pas fermé pendant le confinement. Les cimetières restent ouverts, si vous voulez aller faire un repérage tout en prenant un peu l’air.

Délectez-vous de l’actualité dont on se fout

Au-delà de prendre l’air, le confinement est aussi un moment pour prendre enfin le temps de surfer sur les réseaux sociaux et de vous délecter de l’actualité dont tout le monde se fout.

« Leila Slimani annonce qu’elle quitte les réseaux sociaux pour ne plus cautionner des réseaux où la haine s’étale sans filtre » nous annonce Le Journal du dimanche [6] . Qui s’en fout ?

« Les eurodéputés valident l’appellation burgers végans pour les produits sans viande » [7]. Qui s’en fout ?

« L’archevêque de Toulouse contre la liberté de blasphémer les religions » [8]. Qui est saoulé ?

Enfin, pour citer une dernière fois Jean Yanne, qui nous manque terriblement dans ces périodes troublées, dites-vous que l’époque regorge d’absurde qu’il convient d’observer pour en rire encore et toujours, que la période va regorger d’imprévu. L’imprévu est parfois tragique, certes. Mais il est parfois magique. Et le confinement offre un moment de répit pour regarder cela avec un peu de hauteur et peut-être de bonheur :

« Le seul moyen de supporter la vie, c’est justement de la prendre comme un jeu, d’en remarquer chaque jour les ridicules, les travers, les aspects dérisoires. Et, en ayant pris conscience, s’efforcer de le faire voir à ceux qui en sont moins doués pour s’en apercevoir seuls. En ce sens, Molière, Céline, Artaud nous ont aidés.  Mais aussi Pierre Dac (Ernest en parlait ici, NDLR), Courteline, Allais. Les humoristes sont plus utiles que les philosophes. A moins que ce ne soient eux les vrais philosophes » [9]

Mais au fait, pourquoi ce titre ?

Ah, et j’oubliais. Vous vous dîtes peut-être (sans prétention aucune de ma part) : « Pourquoi donc ce titre de chronique, « Sucer en confinement » ?

Bien que ce soit la saison des courges, mes amis, je confesse que c’était juste pour vous faire cliquer, rien de plus. Et qu’un titre digne d’une « pute à buzz » pouvait avoir son effet. Je sais que depuis « Vous nous faites chier », vous êtes rentrés dans une phase confinée où « Vous vous faites chier » vous-mêmes. Alors il fallait vous donner envie de cliquer. Et de vous faire, un peu, tourner la tête. Par ailleurs, une majorité d’articles sont partagés sur les réseaux sociaux sans même être lus, notamment grâce au titre. Une étude menée par l’université de Colombia et l’Institut National Français nous apprenait il y a peu qu’on ne lit pas 59% des liens que l’on poste sur Twitter[10]. Donc, si vous êtes en train de lire cela, rassurez-vous, vous n’êtes pas concernés. Et à tous les autres qui auront partagé cette chronique sans l’avoir lu, merci beaucoup.

Salut, je ne vous aime pas, ne l’oubliez pas.

Note aux lecteurs : cette chronique a pour but d’exorciser, en plein Halloween, un moment anxiogène afin qu’on évite collectivement de perdre la tête. Merci de votre compréhension. Bisous.

[1] https://www.leparisien.fr/societe/sept-millions-de-tatoue-e-s-17-01-2017-6576954.php#:~:text=Selon%20les%20r%C3%A9sultats%20d’une,des%20plus%20de%2018%20ans.

[2] Jean Yanne, On n’arrête pas la connerie, Le cherche midi, 2007

[3] Jean Yanne, L’apocalypse est pour demain. Ou les aventures de Robin Cruso. Editions Jean-Claude Simoën, 1977.

[4] Florian Zeller, L’Autre, 2004

[5] Michel Houellebecq, Interventions 2020, Flammarion, 2020

[6]https://www.lejdd.fr/Culture/Livres/leila-slimani-annonce-quelle-quitte-les-reseaux-sociaux-3999932?Echobox=1603205875#utm_medium=Social&xtor=CS1-4&utm_source=Twitter

[7] https://www.bfmtv.com/economie/les-eurodeputes-valident-l-appellation-burger-vegans-pour-les-produits-sans-viande_AD-202010230224.html

[8] https://www.francebleu.fr/infos/societe/video-l-archeveque-de-toulouse-1604040162

[9] Jean Yanne, On n’arrête pas la connerie, Le cherche midi, 2007

[10]  http://www.slate.fr/story/119811/reseaux-sociaux-lisent-titre

Toutes les chroniques d’arrêt d’urgence de Jérémie Peltier sont là.

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