Après nous avoir démontré à quel point le confinement serait favorable à notre capacité de “conclure” dans nos rencontres amoureuses, une fois les gestes barrières rangés aux oubliettes, Jérémie Peltier nous raconte comment l’irruption d’un chien dans sa vie en période de confinement le conduit à se plonger dans l’importance des souvenirs et des odeurs en période de solitude. Encore une fois, c’est enlevé et drôle. Vous allez adorer le “chien Covid”.
Grâce à mon voisin de palier qui avait fui précipitamment et en toute responsabilité notre immeuble cette nuit dans un petit SUV pour retrouver sa modeste maison de La Baule et son jardinet, j’ai pu récupérer son chien, dont il ne pouvait malheureusement pas s’occuper durant ses vacances épidémiques, les transats prenant un espace considérable dans son coffre. Ne jugeons pas. Comme l’avait dit Édouard Baer dans un film remarqué par la critique : « Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations ».
J’avais accepté son chien sans broncher, cela me permettrait de passer le temps (la rédaction de ma dernière chronique n’ayant malheureusement pas entraîné le début de la queue de relations épistolaires enflammées avec des femmes confinées), et cela me permettrait surtout de sortir plus facilement dehors.
Mon voisin avait confiance en moi, et devait être suffisamment inculte pour ignorer qu’en France, les animaux sont en passe de remplacer les sex toys. Dans une enquête publiée par l’association Animal Cross [1] (dans laquelle certaines images peuvent choquer), on apprend en effet que ces soldats de Français redonnent ses heures de gloire à la zoophilie : l’association estime que les sites spécialisés dans la zoo pornographie reçoivent 1,5 million de visites par mois dans l’Hexagone (c’est énorme comme dirait l’autre), et 10 000 personnes seraient actives sur des sites de rencontres zoophiles en ligne (concept étonnant comme dirait Desproges !). Les chiens seraient les premières victimes des zoophiles, viennent ensuite les équidés, les chèvres, les poules et les vaches.
Bref. En raison de l’état d’anxiété dans lequel il se trouvait au moment de partir, mon voisin avait omis de me préciser comment se prénommait l’animal susmentionné. Après réflexion et surtout la rédaction d’une carte mentale comme le font les personnes qui vivent avec leur temps, je décidais de l’appeler Covid, afin de réhabiliter pour l’histoire un nom injustement souillé ces derniers mois. Ce nom offrait en outre une palette de diminutifs et de surnoms qui me permettraient de ne pas me lasser : Covidus ; Coco ; Covidamour ; Covidanus ; Gros con de chien.
Dommage qu’à part aux marchés de Barbes et de Belleville, il y ait si peu de personnes dans les rues car j’aurais fait un tabac avec les filles de tous âges:
-« Au pied Covid ! Viens la Covid ! T’as bien fait popo Covidus, t’es un amour de cabot ! »
– « Bonjour petite fille. Tu veux caresser mon Covid ? »
Tel un manager de rue, j’ai eu avec Covid une discussion d’entrée de jeu, afin de lui indiquer quelle serait la répartition de l’espace et les règles barrières à respecter entre nous dans mon appartement au loyer modique : nous serions donc deux dans cet appartement pendant la durée des vacances de mon voisin : moi dans la chambre et Covid dans le salon : chacun reste chez soi comme l’exige le chef des armées. Nous ferons en sorte d’éviter les contacts autant que faire se peut. Et s’il m’arrivait par le plus grand des hasards de vouloir masser Covid en pleine nuit, je le ferais avec une lotion hydro-alcoolique. Je considérai son absence de réponse comme un consentement (cette règle est encore de mise avec les animaux).
Deux jours après l’arrivée de Covid dans mon petit jardin secret, je dû l’enjamber afin de rejoindre ma cuisine (incroyable lieu que je redécouvrais) non-américaine dans laquelle j’avais entamé dès le premier jour de confinement le creusement d’un tunnel qui devait m’amener jusqu’au Bois de Boulogne – Pigalle ne servait à rien, toutes les maisons bien connues étant désormais closes – conscient que la guerre durerait et que mes problèmes sexuels deviendraient, davantage qu’habituellement, le sujet central de ma vie.
“L’odeur, ça compte”
J’avais certes des outils sommaires pour réaliser un tel dessein, un petit tournevis, des ciseaux et des gants, mais cela ferait l’affaire, et c’était quand même mieux d’être seul avec Covid que d’être seul avec sa bite et son couteau. Au bout de quelques minutes durant lesquelles j’enchainais les petits coups de tournevis pour continuer mon avancée dans ce trou noir, un élément retint mon attention. L’odeur de Covid.
Je venais tout à coup de prendre conscience qu’un nouvel arrivant dans un appartement se remarque d’abord et avant tout par quelque chose d’invisible, à savoir son odeur ou son parfum, que c’est en cela, sans doute, que l’odeur est le premier langage de l’humanité, et que c’est en cela, peut-être, que le confinement est un retour à l’enfance.
Dans un recueil de chroniques sublime de la très regrettée Anne Dufourmantelle publié juste avant le confinement [2], elle nous fait part de cette réflexion dans sa chronique intitulée « Etat de grâce contre état d’urgence » :
« Le parfum est-il le premier de tous les langages ? Qu’en est-il aujourd’hui de l’odorat, ce sens premier, enfantin et plus encore animal ? Image vivante, plus nette qu’un coup de fouet qui claque, l’odeur nous dégoûte ou nous enivre, nous obsède ou nous surprend. A l’heure où l’instinct est banni des comportements sociaux convenables, où l’aseptisation du quotidien émousse nos cinq sens, à l’heure où un parfum est la tête de gondole de l’industrie de masse du luxe, qu’en est-il de ce qui peut séduire, entêter, troubler invisiblement dans une rencontre ? ».
Il fallait bien se faire à l’évidence. Au-delà de l’odorat, le confinement solitaire avait mis mes sens dans tous les sens. Avait rendu mes sens ultra-sensibles.
J’étais devenu beaucoup plus sensible aux bruits qu’en temps normal. Je ne supporte plus les klaxons des routiers et des livreurs qui continuent de rouler malgré les tranchées. Je me surprends d’ailleurs à quelques « Ta gueuuuuule ! » lorsque ces bruits m’atteignent jusque dans mon lit. J’aurais pu faire de même pour les sons émanant de copulations diverses que je parvenais à percevoir dans les immeubles habillant ma rue, mais je décidais de respecter l’intimité des gens.
Je percevais désormais chaque petit bruit émanant de mon immeuble, m’imaginant que les chauffeurs Uber n’ayant plus aucune cliente à raccompagner jusqu’à leur lit venaient se servir chez les honnêtes gens, que les livreurs Deliveroo n’ayant plus de quoi fumer pour oublier qu’ils pédalent allaient fracasser ma porte pour trouver un calmant, ou que les femmes de ménage n’ayant plus aucun peignoir à ouvrir et nettoyer s’étaient rassemblées pour venir se venger de leurs patrons qui ne les avaient jamais déclarées.
Bref, je pensais à travers ces sons à toutes celles et ceux, françaises et français, qui étaient victimes plus que les autres de la guerre.
Cela m’amenait d’ailleurs à me dire que j’aimerais de nouveau que le son de ma sonnette retentisse. Mon téléphone ne cesse de sonner, ma sonnette ne sonne jamais. Je regrette la sonnette qui indique que se trouvent derrière votre porte les pompiers vendant leur calendrier alors que vous êtes tranquillement en train de lire Valeurs actuelles dans votre canapé italien Poltronesofa (devoir de mémoire).
“Les sens dessus dessous”
Le retour de l’odorat, le retour de l’ouï, c’était aussi le retour du goût évidemment. Le retour des saveurs. On nous permettait tout à coup de réapprendre en une journée le goût d’une chips, le goût d’une bière, le goût de deux bières, le goût de trois bières, le goût de dix culs de goulots. On réapprend également le goût de la cuisine : je me suis surpris à la fin d’un repas à apposer à côté de mon café Senseo, une compote, quatre crocodiles Haribo, deux pépitos et un Kinder Pingoui : ça sera mon café gourmand à moi, car c’est mieux – et plus sein pour l’organisme – que de prendre un dessert tout court.
Et il y a évidemment le retour de la vue, et par extension notre attention portée de nouveau aux couleurs. C’est le retour des couleurs. L’ouverture de nos fenêtres et le temps que nous avons pour regarder nous fait réapprendre les couleurs, les nuances de couleur, la température des couleurs.
Dans son formidable livre, Les couleurs de nos souvenirs [3], l’historien Michel Pastoureau nous rappelle à quel point la couleur est un lieu de mémoire, une source de plaisirs, et que les choix de nos vies sont structurés bien souvent par les couleurs : refuser un vélo parce qu’il est jaune alors que nous le voulions vert, refuser de croiser un chat car il est noir :
« Dans cette cour, Dimitri, chat débonnaire entre tous, se chauffait au soleil ou bien guettait mollement quelque mulot qu’il n’attraperait jamais. C’était un chat oisif. Mais il était noir, et au fond de la campagne normande, à cette époque, un chat noir passait encore pour une créature du Diable. C’est pourquoi notre voisin se signait chaque fois qu’il croisait l’animal (…). Un chat blanc, gris, brun ou même roux n’était pas victime des mêmes préjugés ».
La journée venait de passer. J’avais travaillé tout du long au creusement de mon tunnel, n’ayant même pas eu un moment pour profiter un peu de ma fenêtre (il faisait pourtant un temps radieux !).
Après avoir parlé avec ma main, je m’offris une pause récréative et je fis une partie de cache-cache avec mon téléphone portable.
Pour combler la soirée, la mienne mais surtout celle des autres, je décidais ensuite de me filmer en direct en train de jouer de ma cornemuse. Il est effet nécessaire que tout le monde prenne conscience durant son emprisonnement qu’il faut enfin que nos oreilles pleines de Air Pod reprennent goût aux sons essentiels de la vie.
« Je ne sais enfin que penser. Rien ne me rend plus pensif » disait de façon sublime Paul Valéry. En pensant un peu trop, je m’aperçois que nous n’avons pas parlé, dans une chronique sur les cinq sens, du toucher. C’est fâcheux.
– Covid ! Covid ! Viens dans ma chambre mon chien, tout de suite !
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[1] Animal Cross dénonce : la zoophilie, « les animaux, les nouveaux sex toys », janvier 2020 https://www.animal-cross.org/wp-content/uploads/2020/02/Zoophilie_AnimalCross_fevrier2020.pdf
[2] Anne Dufourmantelle, Chroniques, Bibliothèque Rivages, 2020
[3] Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, Seuil, 2010
Toutes les “chroniques d’arrêt d’urgence” de Jérémie Peltier sont là.
[…] pour que nous puissions tous conclure après le confinement, après nous avoir raconté comment l’émergence d’un chien (Covid) dans sa vie modifiait sa perception des sens, Jérémie Peltier est de retour. Il a une nouvelle idée pour nous éviter la déglingue et donc […]