Pour lutter contre le blues de la rentrée, Virginie Bégaudeau a sélectionné pour les polissonnes et les polissons de la très bonne littérature érotique de rentrée. Affriolante à souhaits.
L’amour sur le tard, de Michel Desbastilles
« Elle finit par critiquer l’expression faire l’amour qui la choquait, autant que le to make love des Anglais : —C’est industriel ! On ne fabrique pas l’amour ! s’exclama-t-elle. Nous, en hollandais, nous disons : s’aimer, se donner à l’amour ! »
Le ton est posé. Aussi doux que le sujet est délicat. La poésie de Michel Desbastilles est sensuelle. Voluptueuse. Un air usé comme les peaux qu’il décrit si bien. L’histoire est ordinaire. L’amour n’a de raison que la rencontre, celle de ces deux sexagénaires et de leurs corps sulfureux. La pornographie qui découle de ce roman à deux voix rappelle la rémanence d’une jeunesse idéalisée et d’une virginité oubliée. Je suis loin des stigmates. C’est une ascension. Des montagnes russes de l’érotisme. Il y a des cheveux gris et de la discrétion. Un plaisir décuplé, moqué en société, honteux dans l’intimité. J’ai adoré la sincérité de ce texte, des descriptions de ces êtres frétillants, mais dépassés au lit pour les bienpensants.
Une sexualité authentique
La soif d’être vivant se ressent au travers les pages imprégnées de lubricité. Je découvre avec envie, ces caresses sur les méfaits du temps, de cette sexualité authentique qui séduit si naturellement. Je l’ai dégustée sans m’y soustraire, je me suis projetée dans quelques décennies à la recherche d’une sensualité dont on ne me privera pas. Je déniche la tendresse entre les mots et le sexe des deux héros. Les gestes sont directs et pourtant maladroits, ils s’apprivoisent, se guident. Je les encourage, mon plaisir dépendant du leur. Je suis peut-être le souffle de la jeunesse qui les stimule. Et cette idée suffit à décupler le délice de l’interdit.
L’auteur m’a conquise sur la forme et ses mots obscènes, mis au service de mon excitation. Un trésor licencieux qui rappelle que l’éjaculation ne devrait pas être le cœur de la sexualité. Que l’orgasme se cherche ailleurs, ensemble. A 20 ans ou à 70. A outrance et dans l’expérience chaque jour renouvelée. La jouissance de l’âge.
Nagarya, Riverstone
Après mon énorme coup de cœur pour « Chloé » (dont je vous parlais cet hiver), je suis fiévreuse à l’idée de me plonger dans ce nouveau chef d’œuvre du maître de l’érotisme. Une épopée exceptionnelle aux couleurs splendides et à la pornographie fantasque. Un groupe de voyageurs galactiques échoue sur une planète déserte et lutte pour y survivre. Le seule femme de l’équipage ayant survécu est alors tiraillée entre son devoir de reproduction et sa liberté sexuelle.
Une allégorie à la Bible avec une Eve futuriste et à l’instinct de conservation féroce.
Des orgasmes rédempteurs
La beauté du scénario m’a plu, littéralement, bien qu’il paraisse décousu. C’est époustouflant et ma plongée dans cet univers détaillé, préparé, est immédiate. J’ai envie d’être la femme de ce quatuor prêt à tout pour sa survie. D’être la Madone, l’espoir de la descendance. La vierge. La première fois. Même si les mensurations de l’héroïne n’ont rien d’honnête, j’ai pris le parti de me laisser emporter par le reste de l’équipage. Je me glorifie des caresses et du sexe à foison, de cette envie de reconstruire une sensualité. Dès lors que les explorateurs découvrent que leur Terre sacrée est habitée par des indigènes d’une tout autre beauté, la sauvagerie est au cœur de leurs turpitudes. J’y découvre l’avidité de leur jouissance, leur bestialité. C’est grisant. Une perspective excitante d’orgasmes rédempteurs.
La nudité sauvage est le prétexte pour nous offrir des poitrines opulentes, des courbes généreuses et des fesses aussi rondes que délicieuses. Les chairs exhibées incitent à la masturbation et à ce plaisir solitaire des lecteurs d’album de Riverstone, qui je le rappelle, publie dans les années 80 pour la première fois et est imprégné de son temps. Ce qui me le rend séduisant pour sa vision « à l’ancienne » du corps des femmes, qui le rend pornographe désuet.
Il y a un goût d’inachevé, mais l’orgasme m’a repue. Je crève de me retrouver de nouveau au milieu de ce peuple qui promet sévices et caresses. Jouir avec eux, pour eux, et pour moi.
Les trois sœurs Darnum, Ardem
En découvrant l’album d’Ardem, c’est l’excitation et l’impatience dominent. Une dystopie. Un régal érotique. Une anticipation qui frôle avec le cliché, mais atteint son but : réflexion et plaisir. Orgasme, même.
A Mégalopolis, cité tentaculaire où les hommes sont devenus sots par la force des médias, les femmes, elles ne sont que des créatures dévolues au sexe. Au milieu de cette société décadente se trouvent les sœurs Darnum qui cherchent à survivre. L’une est policière, tiraillée entre le devoir de protéger le peuple et son envie de sortir du système, la seconde rêve de notoriété et la dernière est la rebelle. Quelques poncifs qui ne me déplaisent pas. Elles sont toutes trois utilisées par les Hommes, tentant de sauver leur quotidien. Mais la touche sombre, peut-être même réaliste, est cette notion fataliste de ses trois sœurs vouées à la soumission.
Une œuvre profonde et pornographique
L’œuvre est aussi profonde que pornographique. J’y ai glissée, un peu abruptement, choisissant le camp qui me convenait le mieux. Subissant les assauts des mâles, non en quête de pouvoir, mais assoiffée de ce sexe, sale et dû. Puissante. C’est une bande-dessinée visionnaire et terriblement affriolante.
Le sens du détail, les décors travaillés a caressé mes fantasmes. Le thème se prête à l’anticipation légèrement rétro. Cette impression de surcharge m’a étouffée tout en décuplant la domination, l’abandon et la jouissance. L’extravagance explose les barrières et la censure. J’accepte l’humiliation des héros, un peu la mienne aussi. Les rapports sont violents et l’érotisme agressif. C’est un jeu de survie et mon corps est une arme dont je dispose, que j’utilise et dont j’abuse très certainement. La tension est belle, le scénario complexe, l’immersion et la jouissance, totale. Un regret si ce n’est celui de ne pas être une sœur Darnum ? Le seul et unique volume de la série à ce jour.
Toutes les chroniques “Petit cochon”, sur la bonne littérature érotique sont là.