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La chaleur enveloppante de l’érotique automnal

Ramez E Nassif MleYuWDtQ50 Unsplash

Imaginez. Un feu de cheminée. Un froid d’automne. Votre amoureux ou votre amoureuse, votre amant ou votre amante à portée de main. Une douce chaleur monte. Elle ne vient pas que de l’âtre. Elle vient de votre lecture des chroniques de Virginie Bégaudeau…L’érotique automnal est décidément l’une des raisons de plus de vénérer l’automne.

PORNOSTAR- GIOVANNI ROMANINI

Avec « Pornostar », Romanini Giovanni affirme, comme si besoin était, davantage son nom de fumetti érotique. Cette longue série de 40 volumes, publiée en Italie, est restée inédite en France. Jouissif ! J’ai attendu cette publication dès que la rumeur est apparue. Le vintage de l’œuvre est aussi grisant que les traces de Beba, jeune héroïne du star-système à qui personne ne peut s’identifier, mais chez qui tout le monde a envie d’être. De la bande-dessinée pornographique à l’état brut.

PornostarDans « Pornostar », je suis cette actrice libérée, menant une carrière sulfureuse sous le regard d’un manager familier et exigeant. Je suis délurée, prête à tout pour que mon corps dévêtu soit en haut de l’affiche. Aux côtés de Beba et Fiona, sa sœur, j’enfile mes combinaisons lubriquement rétros avant de les ôter pour des collaborateurs concupiscent. Les séances de sexe sont aussi attendues qu’invraisemblables, mais elles excitent le fantasme des femmes fatales d’une autre décennie. L’âge d’or d’un porno moins chic et moins guindé. L’ingéniosité presque loufoque de l’auteur est une réussite Elle m’emporte au cœur de Los Angeles, entre mafiosi et producteurs de films X.

Une nostalgie lubrique enivrante

L’Eldorado des longs-métrages Hollywoodiens et de secondes zones. Je sens le soleil de L.A sur ma peau bronzée, fraîche de cette jeunesse que les réalisateurs m’envient. Je suis l’actrice d’un soir d’été, rêvant d’une gloire et d’un oscar, et me contenant d’une sortie dans des sexshop et d’un partenaire à moitié bandant. Je partage ce plaisir volé, accepte l’orgasme face caméra où mes gémissements ne sont plus feints. C’est délirant et une bouffée lubrique balaye la nostalgie des pages, à la maîtrise graphique impeccable de Romanini.

L’atmosphère dégourdit l’esprit et le corps. Le trait est démodé, le texte d’autant plus, mais c’est la jouissance simple. Efficace. Une plongée dans l’univers coloré et libidineux des BD masturbatoires. Et pourtant, c’est tout un héritage que l’œuvre m’a transmis

LA PREDICTION – Anonyme

D’un projet éclos sur Instagram avant sa censure, est née « La Prédiction ». Voici Alma, trentenaire blessée qui se livre à travers dix histoires d’un érotisme poignant.

Capture D’écran 2019 10 04 À 13.12.34Alma, c’est un peu ma voisine de pallier, ma copine usée par les hommes mais qui les dévorent tous les vendredi soir. Alma, c’est un peu moi, aussi finalement. La liberté qui se dégage de ces courts textes est puissante. Entre le vers et la prose, « La prédiction » s’impose comme un nouveau genre érotique qui fascine et transporte. Je suis conquise par cette femme jouissive, curieuse et passionnée d’un corps qui lui appartient et qu’elle offre, en échange de celui des autres.

Une ode à la féminité

Les mots sont actuels, sans pudeur et pourtant si intimes. J’ai adoré l’effet novateur de cette œuvre. L’envie qui glisse à chaque saut de page, le désir qui grimpe au moindre effluve de stupre. Je veux devenir Alma et me perdre, à la déraison, dans les draps des inconnus. Caresser, apprivoiser, embrasser, toucher. Jouir. Faire jouir à la lueur des réverbères de trottoirs. Dans les matins parisiens, entre un réveil de complaisance et le besoin de recommencer. Ailleurs. Avec un autre. Changer de peau comme on change de sous-vêtements, les laisser au pied d’un lit familier. Je renais avec Alma. Je l’accompagne et elle alimente mes fantasmes de femme libre, une revanche sur la vie et le monde qui nous entoure. Je brûle d’un droit de goûter au sexe consommé, le revendique et le partage.

J’y décèle aussi la douleur de la rupture et le besoin de se livrer à des mains plus ou moins honnêtes, maltraitants ce corps abandonné et rejeté. La volonté de grandir et d’apprendre à aimer pour deux, ou trois peut-être. La plume de l’auteure est fine, simple. Elle est aiguisée du besoin d’honorer les sens, ceux de ses lecteurs et les siens très certainement.

Une ode à la féminité. Vivante et contemporaine. Une nouvelle voix qui a été entendue.

“OH…”- Philippe DJIAN

« Mes cris l’effraient. Je sais qu’ils sont convaincants, ils expriment une rage bien réelle qui provient du tréfonds et m’inonde (…) du terrible plaisir que je prends avec lui. »

En choisissant les mots de Philippe Djian, j’ai conscience d’en sortir aussi nerveuse que bouleversée. « Oh… », c’est l’histoire de trente jour d’une vie sans répit. Une vie où le sexe chahute avec la mort, pour chaque instant et avec perversité. C’est le genre de texte pour lequel je vibre, à tous les niveaux.

 Oh Michèle, l’héroïne de Djian, superbement incarnée par Isabelle Huppert au cinéma, plonge dans ses souvenirs aussi calamiteux qu’hors normes. Ces souvenirs qui jalonnent sa vie de femme invraisemblable, mais démentielle. L’auteur joue et assemble des existences, il les unit et les lie. Ce mois de décembre est alors le théâtre d’orgies, de violences, de souffrances et il semble être celui d’un personnage fort et vulnérable à la fois. Libre, surtout. Je suis grisée par l’atmosphère. Je me sens ardente, impudique. La femme que l’on fuit tout en la faisant jouir.

Un érotisme dérangeant et pernicieux

Et même si l’érotisme de l’œuvre ne résonne pas comme celui des grands noms de cette littérature de genre, il est dérangeant et pernicieux. L’écriture mime la respiration haletante d’un désir interdit, d’un orgasme tabou, d’une Michèle qui sombre. « Oh… » déverse, d’une seule traite, la luxure, noire, de héros vicieux. Une descente inexorable qui laisse un goût amer, un goût de stupre, un viol mental, en quelque sorte. C’est terriblement dérangeant.

Alors, Djian me malmène. Il me pousse à bout, jusqu’où le fantasme devient réel, jusqu’où mon corps dit « stop » en tremblant à côté. Je suis la Michèle de son illusion, moderne, autoritaire, modèle d’une femme libre et émancipée. Ma vie semble un échec mettant en lumière un féminisme et une sexualité politiquement correcte, enlevée, mais manquée. Il y a cette noirceur au fond de mon ventre qui me pousse à n’être qu’un corps maculé.

Je suis torturée, poussée dans le plaisir masochiste des grands drames. La jouissance est douloureuse. Je souffle avec elle. Destructeur, agressif, le sexe tel que Djian me l’impose se lit dans une nuit de novembre, dans un appartement vide où les lumières des néons de cuisine sont de mauvaises factures. Je ne me retrouve toutefois pas à Paris avec Michèle, je m’imagine dans des docks du Nord ; une ville de province où la tranquillité regorge de turpitudes.

Je suis l’extase et la débauche en personne. Mais je suis à bout, je dégringole, embrasée.

Toutes les chroniques “Petit cochon” d’Ernest.

 

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