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Moix, ce symptôme

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C’est l’histoire d’un type. Un type qui va séduire par ses mots un philosophe respectable. Ce philosophe compte à Paris. Par envie et par amitié, il va ouvrir les portes à son nouvel ami. Ce nouvel ami va publier une bluette sympathique. Assez limitée littérairement. Qu’à ce que cela ne tienne : Prix Goncourt du premier roman et une carrière lancée. Petit à petit le nouvel ami fait son nid. Il signe des chroniques à droite et à gauche. Marianne, Le Figaro, Elle, La Vérité, le journal du sulfureux Nabe. Il publie un livre sur Claude François. A peu près drôle. Mais pas fantastique non plus.  Mais l’auteur amuse, passionne, passe du temps à tisser un réseau. Consécration quand il devient chroniqueur chez Laurent Ruquier, le samedi soir, dans cette émission de spectacle télévisuel qui n’a qu’un seul but : faire du bruit. Dans cette émission, Moix raconte tout et n’importe quoi. Poursuit les uns de son courroux et câline ceux qui pourront lui servir plus tard. Peu importe. Il est “le sniper”, celui qui cite des philosophes à une heure de grande écoute. Dans certaines gazettes on lira “même que Moix élève le langage du peuple”. C’est une histoire française. Une histoire qui fait d’un écrivain sans talent auto-centré l’une des voix qui comptent. Une histoire où la raison n’existe plus et où seul le spectacle a de l’importance. Moix est le symbole de l’insignifiance qui gagne notre monde. Les esprits lucides le savent. Mais qu’importe, il fait du spectacle.

Dans cette rentrée littéraire, la règle est toujours de mise. Son livre Orléans, est mal écrit, boursoufflé (comme Naissance ou Rompre auparavant, mais le spectacle se remet en marche. Les lettres du père et du frère offusqués, la une de Libé (comme si d’autres sujets ne méritaient pas la Une) et soudain la bombe : Moix a été antisémite, et a fricoté avec l’extrême droite jusqu’à 45 ans minimum. La surprise semble générale. Mais au fond, la surprise n’est-elle pas feinte quand ce dernier passait son temps, chez Ruquier le samedi soir, à vilipender les écologistes, les “tiers-mondistes”, et tout ce qui approchait de près ou de loin d’un idéal humaniste aux antipodes de ce qu’il est ?
 Moix, du haut de sa tribune médiatique ne déversait – certes pas des mots antisémites – mais il était le phare (comme Zemmour avant lui) d’une pensée conservato-réactionnaire.

Moix, symbole de la montée de l’insignifiance

Pensée au pouvoir au Brésil, aux États-Unis, en Angleterre et qui arrive au 2nd tour en France. Moix comme la quasi totalité de tous les chroniqueurs de Ruquier est de ceux qui aiment la méchanceté qui en font un acte de bravoure, qui considèrent qu’il faut être méchant gratuitement pour exister et montrer sa force. Une des caractéristiques de l’extrême droite. Moix, Zemmour et compagnie sont de ceux qui préparent par leur logorrhée verbale l’avènement d’une méchanceté politique. Moix parce qu’il a été (et que cela continue encore) porté aux nues est le symptôme d’une maladie collective. La nôtre celle de nos sociétés du spectacle. Des sociétés qui font émerger des personnes qui n’auraient jamais dû sortir de l’anonymat. Ces personnes qui sous couvert d’une culture confiture n’ont pourtant rien apporté ni à la littérature, ni à la pensée collective. Moix est l’une de ces personnalités les plus symboliques de cette société du spectacle et de la montée généralisée de l’insignifiance chère à Cornélius Castoriadis où tout vaut tout. Et où la parole d’un Moix vaut autant que celle d’un chercheur, d’un philosophe, d’un scientifique ou d’un politique qu’il aimait tant vilipender dans l’émission de Ruquier le samedi soir. Cette société fabrique des Moix à foison. Cette société qui “se distrait à en mourir” comme le rappelait Neil Postman dans un livre devenu célèbre est aujourd’hui victime de sa propre création et de la morgue engendrée. Dernier épisode du spectacle, hier soir, toujours sur la télé publique où Moix a fait sa contrition. Si ce n’était pas le summum du ridicule lamentable, nous pourrions, peut-être, en rire…

Maintenant que la baudruche Moix est dégonflée et qu’il va (espérons-le) retourner au silence d’où il n’aurait jamais dû sortir, que le diagnostic de notre société du spectacle profondément malade est posé, il est urgent de traiter les causes de la montée de ces insignifiants plutôt que de débattre des conséquences.

Tous les éditos d’Ernest sont là.

Éditorial initialement paru le dimanche 1er septembre dans l’Ernestine, la lettre dominicale d’Ernest.

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