Dans cette rentrée littéraire, Georges-Marc Benamou, journaliste et écrivain, publie un livre réjouissant sur cette journée du mois de mai 1968 où le général de Gaulle a quitté Paris sans dire à personne où il allait. Frédéric Potier a lu le bouquin et il a adoré. Il nous dit pourquoi.
Ce n’est pas la BD “De Gaulle à la plage”, mais un ouvrage tout aussi excellent que nous livre en cette fin d’été Georges-Marc Benamou. “Le Général a disparu” est le récit romancé avec talent d’un De Gaulle de 78 ans, président de la République en plein naufrage (nous dirions burn-out aujourd’hui pour faire chic et moderne) au milieu des révoltes étudiantes et des occupations d’usines de Mai 1968. On y croise les grandes figures gaullistes (Pompidou, Foccart, Messmer, Malraux…) toutes aussi dépassées les unes que les autres par une vague soixante-huitarde qu’ils ne peuvent pas comprendre. Des barons gaullistes hésitants entre le coup de force contre les manifestants et la résignation. De Gaulle, enfermé dans le palais de l’Elysée, ne comprend pas ce qui se passe. Lui, le sauveur de la France, le chef de la Résistance, l’auteur de l’appel du 18 juin, se retrouve quasiment assiégé en plein Paris. Un comble ! Le Premier ministre Georges Pompidou semble décider de tout depuis Matignon mais, en réalité, il ne maîtrise pas grand chose. Alors les rumeurs les plus folles courent Paris en ce printemps 68 : les communistes et la CGT voudraient prendre d’assaut l’Hôtel de Ville et décréter la commune… ou faire mouvement sur la place Beauvau… ou prendre en otage la famille du Général.
De Gaulle en homme fragile
Alors que faire ? Faire tirer sur la foule ? Démissionner ? Fuir en Suisse ? Contre-attaquer ? L’histoire est connue : le Général s’exfiltre, en douce, à Baden Baden, dans cette ville allemande frontalière où le Général Massu, vieux fidèle de la France Libre tient garnison. Là l’ancien parachutiste de choc requinque son grand Homme et l’assure de la fidélité de l’Armée. Rendu public, ce départ créé un choc dans l’opinion publique. L’opposition de gauche (et de droite) est désorientée. Après des heures de flottement, De Gaulle regagne Paris pour mettre un terme à ce qu’il appelle « la chienlit ». “Le général a disparu” est le récit précis, presque clinique, de ces quelques jours où la Ve République vacille, où tout peut s’effondrer. L’auteur brosse un portrait du pouvoir gaullien loin des images d’Epinal. Il nous rappelle fort opportunément, quelques mois après les manifestations des gilets jaunes, que les Institutions (avec un grand I) ne sont pas des blocs de marbre. Les institutions, même celles de la Ve République réputées solides, sont incarnées par des hommes et femmes, qui ne sont ni infaillibles ni sans émotion ni sans peur. Il fallait sans doute la plume acérée et distanciée d’un écrivain-journaliste ayant fréquenté les arcanes du pouvoir pour rendre toute l’atmosphère tragi-comique de cette fugue présidentielle. Verdict : à lire impérativement avant la rentrée politique.