Livraison mensuelle de Virginie Bégaudeau et de sa chronique “Petit Cochon” dont les statistiques montrent que vous en rafolez. Ce mois-ci, Virginie nous parle d’une intelligence de la sensualité. Régalez-vous !
Caresser le velours – Sarah Waters
« J’aurais pu être Narcisse, en train d’embrasser l’eau dans laquelle j’allais bientôt me noyer. »
La poésie qui s’échappe du roman de Sarah Waters y contient pourtant toute sa luxure et sa perversion. J’ai plongé, palpitante, dans ce monde lesbien de la fin du XIXe siècle, cette ère victorienne sur le point d’être bouleversée par l’arrivée du socialisme et du féminisme. J’ai senti cet engagement au travers la lubricité du texte, j’y ai basculé, immédiatement. Je me suis fondue dans le corps de Nancy, une jeune vendeuse d’huîtres sur la côte du Kent qui tombe amoureuse de Kitty, une chanteuse de Music-Hall. Le décor est posé. Il m’imprègne de l’humeur obscène des personnages, de leur naïveté. J’ai balayé les clichés, les faux-semblants, moqué la pudibonderie de ce siècle avec elles. Je les ai accompagnées dans un apprentissage débordant d’orgasmes et d’interdits. Je me suis glissées sous ces robes qui emprisonnent et renvoient à leur condition. C’est une montée. L’écriture suit le rythme des élucubrations fantasques et pernicieuses des héroïnes.
Un érotisme politique
La plume est timide, sensuelle, avant d’explorer les sursauts du plaisir de Nancy, l’abandon total d’un corps apprivoisé, gâté et malmené. J’ai l’impression d’être un trio, il y a Nancy, Kitty et moi. Un fantasme des romans d’époque qui pimentent la débauche. Je la découvre pleinement, la savoure à pleine bouche comme les leurs se dévorent. Sous les caresses, j’encaisse la dureté de cette Angleterre mal éduquée. Ce roman est un combat. La place des femmes dans une époque lointaine et qui nous guette pourtant. Il y a du sexe pur, sale, opportuniste. Il y a l’amour foisonnant d’une passion prohibée. Un roman qui m’a conquise et fait trembler à tous les chapitres.
La demeure des lémures – Barthe Léo
En ouvrant un roman de Léo Barthe, c’est l’orgasme assuré. L’orgasme de la chair et celui de l’esprit que l’auteur sait manipuler, satisfaire, séduire et emporter. J’aime ses sujets et ses mots choisis dans cet optique simple : faire jouir les intellectuels.
Dans « La Demeure des Lemures », l’histoire est presque évidente. Une petite bonne engagée dans la maison du maître où règne le silence. Si elle se donne du mal pour se montrer irréprochable, elle ne peut oublier cet homme austère, croisé ici et là, dont le charme et le charisme lointains la troublent jusque dans ses rêves. Il y a la naïveté des jeunes travailleuses que certains auteurs détournent très vite. Ici, non. C’est un réel roman d’apprentissage où la séduction flirte avec la transgression. Je n’arrive pas à trouver ma place. A la fois maître et apprentie. J’ai envie d’être les deux tant leurs leçons sont obscènes. La jouissance de l’un ne vole pas celle de l’autre et je glisse sous les draps des lits des grandes maisons. Je suis la vierge que l’on vénère et la violence du maître qui s’offre ce droit de cuissage si implicite. Un plan à trois à l’unisson.
Un livre que l’on aime comme un amant inattendu
J’ai envie de crier, à mon tour, que l’on me malmène, que l’on m’apprenne, davantage. Je frissonne des doigts féroces sur ma peau, intacte, je jouis avant la fin de la partie, en somme. Je suis avide de ce sexe neuf. Le plaisir des premières fois.
Il y a aussi l’été, la chaleur et les jours qui s’étirent, ces heures qui me rappellent l’adolescence. Les émois et la découverte. C’est sulfureux. Brûlant, donc. Un monde où se mêlent complot, stupre et luxure. C’est aussi cru que délicieux. La volupté dans toute sa beauté et son mystère. Juste de l’érotisme intense et cérébrale. Je suis repue de ce livre exigeant, ce livre qui m’a comblé comme l’amant que l’on attend sans le désirer vraiment. Jusqu’à…
La tentation – Axel
Ma dernière lecture d’Axel était « La Chambre de verre ». Un réel bouleversement. La délicatesse, le silence et le dessin pour harmoniser, aiguiser l’envie. J’avais déjà la poésie sous les yeux en ouvrant « La Tentation ». La couverture est savoureuse. Le bleu. L’été. La chaleur qui se dégage du trait annonce un nouveau coup de cœur. J’y aperçois les vacances, les multitudes d’opportunités sous un soleil brûlant et la parenthèse libidineuse qui s’offre à moi.
Ici, on aborde la différence d’âge. La sexualité à l’heure où les corps vieillissent et que le fantasme abandonne, un peu. Alors pour ces quelques jours avec Gérard et Françoise sur la côte méditerranéenne, j’embarque mon voyeurisme, et celui de ce couple de quinquagénaires fébrilement mis en exhibition. Il y a la rencontre avec Fred, une jeune femme libérée que la jeunesse honore, accompagnée de son Mathieu. Le tout est négligemment posé, écrit d’avance.
Sensualité débridée qui emporte
L’échangisme entre les deux générations est délicieux, aussi respectueux qu’une première fois. Les planches sont magnifiques. Les couleurs maîtrisées. Axel m’a plongé dans ce lagon turquoise où le sexe a pris sa place. C’est authentique. Je désire les personnages comme j’aimerais qu’ils me désirent dans leur entre-soi. Un émerveillement total devant le talent d’Axel.
Le renouveau. Le mutisme des scènes naturelles. Les barrières qui sautent. Les corps qui s’enlacent, se pénètrent, se découvrent et se consolent parfois. Il y a une ode à la contemplation et à l’intime. J’aime l’introspection des héros, loin du quotidien étouffant des grandes villes comme il le sous-entend. Il y a de l’amour. Beaucoup. Et du sexe, énormément. Une réussite qui m’a enchantée et qui me laisse un goût de sel sur la peau. Un autre goût surtout…