Il fait froid, c’est la grève et la pluie. Noël approche. Et si on se plongeait dans des lectures érotiques toutes plus électriques les unes que les autres ? Virginie Bégaudeau a ce qu’il vous faut.
Les Dix Japonais- Léone Guerre
“Il m’est presque impossible de décrire ce qui eut lieu dans cette chambre cette nuit-là. Ils étaient penchés au seuil de mon âme avec l’intensité merveilleuse qu’ont ceux qui torturent, mais ils ne torturaient pas, ils aimaient.”
Être une jeune fille de 18 ans, débarquant à Marseille sans un sou, c’est le début de tous les fantasmes et des possibles. Une presque adulte en quête de sensations charnelles, au bord de l’implosion, Léone s’encanaille dans des chambres d’hôtel, s’enivre au bras d’amants et pervers. J’ai adoré plonger dans ce livre riche, me rappelant une adolescence que je n’ai plus, me délectant de nostalgie. La plume audacieuse et précise de l’auteur m’aide à me glisser dans la peau, ou dans le lit de l’héroïne. Les situations scabreuses sont aussi sensuelles que luxurieuses. L’image est là, et c’est toujours un plaisir non dissimulé de la découvrir dans une littérature aussi particulière. Je la déguste, je m’y vois.
Il y a les effluves salés. Il y a les cris de plaisirs. La jouissance d’une femme, et la mienne, qui s’offre à l’amour de tous les sexes, qui se livre à ses désirs interdits. Les langueurs façonnent ses expériences et je prends possession, à mesure que Léone apprivoise ses orgasmes, de mon corps survolté.
Diaboliquement excitant
Comme Léone, je suis obsédée de ce sexe découvert au détour d’une rue ou d’un inconnu, prête à dire oui à toutes les propositions indécentes et aux délices de la chair. Je ne me retiens plus et agrémente ma lecture de tous les plaisirs qu’elle me propose. Je crois que je n’aime plus l’homme, je les aime tous, et je leur rends hommage au travers les pages à l’odeur de stupre et au rythme de mes mains sur ma peau brûlante… Je suis engagée dans ses mots, vertigineux, j’explore ma peau et la leur, stimulent tous mes instincts et m’abandonne à l’obscénité totale.
J’ai à nouveau 18 ans, les hormones qui bouillonnent, qui m’enlisent dans une luxure étourdissante. Un havre de concupiscence où la place de la femme illumine le récit, où la mienne est trouvée. L’écriture est somptueuse, aussi douce que les draps dans lesquelles Léone et moi avons pris nos quartiers. Sans concession, nous nous adonnons à ces mains perverses et prêtes à renverser nos ardeurs. A nous faire jouir, électriques que nous sommes.
Les Dix Japonais, c’est une ode à l’acceptation et à la perversion à la fois, c’est une ode à l’érotisme pur.
Le Lien- Vanessa Duriès
“L’entraînement à la douleur n’est, après tout, qu’un entraînement sportif comme un autre : on parvient aisément à reculer les limites et à endurer à chaque expérience la sensation de souffrance à laquelle on fit par s’habituer, d’autant plus lorsque, comme moi, on en tire une vive excitation et un plaisir incomparable.”
Le lien résonne comme un hommage à la jeunesse perdue et à la sexualité ambigüe d’une auteure décédée bien jeune. Un premier roman qui me bouleverse encore aujourd’hui, tandis qu’à 21 ans, Vanessa Duriès disparaissait tragiquement, laissant l’empreinte d’une pornographie hors limite et intemporelle.
Je me suis donc rapprochée, à tous les sens du terme, de Laïka, héroïne ingénue, un soir, martyre ou libertine le suivant. Je l’accompagne dans sa découverte de la soumission et dans ses rituels particulièrement pervers. A la fois battue et caressée, offertes, partagées et adulée, je m’asservis à des rituels étranges, rudement initiée où je sublime mon amour envers un maître dangereux. La souffrance et l’humiliation me glorifie, car l’emprise c’est moi qui l’ai.
Délicieuse dualité amour / domination
Ce texte est d’une franchise naïve mais qui me chavire toujours. Reculer sans cesse les frontières de l’adoration qui façonne une normalité amoureuse à laquelle ni Laïka ni moi ne nous soustrayons. C’est une expérience sexuelle extrême que l’auteur analyse à la perfection et que j’ai envie de renouveler.
La puissance du lien renvoie à la portée autobiographique du texte. Purement BDSM, j’y dénoue une réelle complaisance dans les épreuves endurée dans la vie d’esclave et de fanatique. Même si les effets sont dévastateurs, je les savoure, les reconnais. Un cercle vicieux qui jalonne ces pratiques sulfureuses et pourtant nécessaires pour l’affranchissement de la jeune adulte.
Pour moi, ce sont les mots qui choquent qui forgent. Aussi court qu’amoral, c’est un témoignage parfait sur l’extase, les ascètes ou les obsédés. Je ne l’érige pas au titre de chef d’œuvre érotique, mais au titre d’un prémisse en la matière, d’un premier roman rendu célèbre par la mort de sa plume, mais ô combien scandaleux.
Une dualité amour/domination extrêmement bien maîtrisée et au-delà du raisonnable
La comtesse rouge, Georges Pichard
Dans sa forteresse des Carpates au VXIIe siècles, la comtesse Bathory se livre à des jeux pervers et terriblement excitants. Entre la torture et la mise à mort de plusieurs centaines de jouvencelles, jouissant en se baignant de leur sang, elle pense avoir trouvé l’élixir de jeunesse. Avec cette œuvre d’exception, Georges Pichard met en images les rêves fous de Sacher Masoch. Il me livre l’horreur et le sexe vrai. Il me livre un pan d’Histoire fantasmée digne des plus grands romans d’épouvante. Je plonge, torride et fébrile, dans un château où règne la terreur et le stupre.
L’adaptation de J M Lo Duca est mise en valeur par le trait simple, mais réaliste, de Pichard. Il a le goût de la chair voluptueuse, de l’obscénité quotidienne, d’une sensualité faite d’une turgescente naïveté. Le dessin n’est pas fragile et les femmes, ces héroïnes de Sacher Masoch ont le visage impénétrable, à défaut de leurs corps soulevés d’extase, de souffrance, de larmes et de jouissance. Je veux être ces femmes. Je suis l’une d’elle d’ailleurs. Elles sont réelles. Le décor des Carpates est tentateur. Il m’amène au tréfonds de mes vices, il m’attire vers cette comtesse tyrannique et belliqueuse. Il voudrait que je le devienne et que je sente son autocratie tordre mon ventre sous un spasme de plaisir. Je crève de l’accompagner dans ses massacres tant ils sont nimbés de luxure.
Entre noirceur et luxure
La magie de l’image de Pichard et des mots de Lo Duca. La magie de Sacher Masoch. Le fabuleux mélange des trois artistes qui rend cette oeuvre aussi immorale que transcendante. Le crayon de Pichard se glisse dans l’oeuvre magistrale de l’auteur ukrainien, sadique. Ici, la pornographie est moderne, la mise en scène travaillée, précise et cinématographique. C’est un théâtre d’orgies et de violence, justifiée par la beauté et le pouvoir de la comtesse hongroise.
Il y a l’idolâtrie. L’atrocité. Mais toujours, la jouissance et la sauvagerie. La noirceur du récit s’ancre parfaitement dans les planches superbes de Pichard, accentuant mon imaginaire et attisant mes désirs pervertis. Je suis conquise par le travail colossal de l’adaptation et du souvenir cuisant de l’original. Une réussite rare.
Toutes les chroniques “Petit cochon” d’Ernest sont là.