Pour les moins de 30 ans le trotskysme est un vieux truc pour les parents, voire les grands-parents. Trentenaire fringant, Laurent-David Samama s’est pourtant plongé dedans avec professionnalisme et délectation. Il en ressort un essai bien plus large qui interroge notre rapport à l’idéal. Passionnant.
“Rouge, c’est la vie !”, clamait dans l’un de ces derniers romans l’un des maîtres du roman noir hexagonal, Thierry Jonquet. Son acolyte Frédéric Fajardie, lui, vantait les “jeunes femmes rouges toujours plus belles”. L’histoire ne dit pas si le journaliste Laurent-David Samama aime les “jeunes femmes rouges” mais en tout cas, elle dit à quel point “rouge” fut durant toute une époque, “la vie”. Dans son essai-récit “Les petits matins rouges” paru aux Éditions de L’Observatoire, Laurent-David Samama entreprend de raconter l’histoire du trotskysme dans les courants de la gauche politique depuis la fin des années 70. Il tente également de comprendre comment et pourquoi cette histoire et cette filiation qui fut créatrice d’idéal et d’idées reprises par la gauche socialiste arrivée au pouvoir est désormais devenue une sorte de fardeau encombrant.
Auscultation contemporaine de la perte de l’horizon
Ce qui est passionnant dans le travail de Laurent-David Samama c’est non seulement les témoignages qu’il a recueillis, notamment auprès d’un Henri Weber très inspiré, mais aussi et surtout la façon dont il parvient à faire des allers-retours entre hier et aujourd’hui. Entre les idéaux d’hier et ceux – pauvres – d’aujourd’hui. On pourrait penser que les “Petits matin rouges” est un livre d’initiés, il n’en est rien. Il pourrait toucher et interpeller toutes celles et tous ceux qui, un jour, ont décidé de croire en un idéal politique, pour le meilleur et pour le pire. Car en auscultant les lunes trotskystes, Samama pose la loupe sur les idéaux et les idéologies qui au-delà de ce que l’on peut en penser sont aussi une forme d’organisation du monde. Et Samama d’écrire en citant Henri Weber, ex-trot devenu membre de la direction du PS, sénateur et député européen dans les années 90 : “La raison de la crise de ces organisations c’est que l’énergie religieuse s’est désinvestie du politique pour retourner à la religion. A l’époque, nous avions investi cette énergie religieuse dans la politique car nous voulions créer la Jérusalem terrestre. ça s’est cassé la gueule et aujourd’hui on ne sait plus comment faire, ni à quoi cela doit ressembler. Et l’actuel cadre du PS de citer Camus : “Nous ne militons plus pour faire advenir le meilleur des mondes, mais pour éviter l’avènement du pire.” Une perspective évidemment moins exaltante lorsque l’on a rêvé de Grand soir”. Cet extrait puissant, intelligent et nostalgique dit tout de la puissance de l’essai de Laurent-David Samama. C’est à la fois un miroir vers le passé, mais aussi vers le présent et l’avenir. Le propos de l’auteur est d’autant plus intéressant qu’il surgit alors que les Gilets jaunes sont encore mobilisés, que les organisations politiques traditionnelles ont été balayées, leur idéal également, sans pour autant avoir véritablement été remplacées. Où est l’horizon se demande-t-on sans cesse ? Et en refermant le livre de Samama une question sous forme de quasi certitude : et si l’idéal trotskyste avait au moins eu le mérite de mettre des gens en mouvement et donc de faire se mettre en marche des forces de progrès nourries de l’idéal, mais connaissant le réel pour l’amélioration collective ? Le bilan pourrait être plus négatif… Lisez Samama !
Toutes les inspirations d’Ernest sont là.