J-2 avant le lancement de la huitième et dernière saison de la série Game of Thrones (GoT, pour les intimes). Phénomène télévisuel planétaire et culturel, GoT est avant tout un livre. Une saga fantasy signée George R. R. Martin qui a inspiré la série de la chaîne HBO, séduit 85 millions de lecteurs et a été imaginé pour partie en France. Retour sur la genèse d’un livre qui a donné l’une des plus célèbres séries télés de l’histoire.
Angleterre, hiver 1981. Le soleil se couche sur le mur d’Hadrien. George R. R. Martin, 33 ans, s’abîme dans la contemplation des ruines antiques. Au contact de la pierre, il s’imagine en légionnaire romain, chargé d’assurer la sécurité de l’empire, convaincu qu’au-delà du mur, aux confins du monde connu, sommeillent les pires dangers. À cet instant précis, le jeune écrivain ignore qu’il vient de poser la première pierre de sa saga fantasy, Le Trône de fer. Dix ans plus tard, le mur d’Hadrien deviendra une gigantesque frontière de glace, ultime rempart contre les créatures légendaires qui se terrent dans les Contrées de l’éternel hiver. Winter is coming…
De la science-fiction à la fantasy
Si George R. R. Martin est fan du Seigneur des Anneaux, il commence sa carrière d’écrivain par des nouvelles de science-fiction. Publié pour la première fois à 23 ans, alors qu’il étude le journalisme dans l’Illinois, il oscille entre fantastique, horreur et SF. Pourtant, en juin 1991, pendant qu’il travaille à son nouveau roman, Avalon, c’est un tableau d’un tout autre univers qui lui apparaît : à travers les yeux du jeune Bran, il assiste à la décapitation d’un déserteur, avant de découvrir au coeur de la forêt, sous les neiges d’été, une portée de six loups garous. La scène est si nette que George R. R. Martin la couche sur le papier en moins de trois jours.
L’auteur ignore qu’il vient d’écrire la scène d’exposition de son heptalogie Le Trône de fer. À l’époque, il projette d’en faire une nouvelle sur le pouvoir, la famille et les ravages de la guerre. Mais depuis l’irruption de Bran dans son esprit, le romancier n’arrive pas à se débarrasser de cette expression, « neige d’été ». Clé de voûte de son imaginaire, elle débloque toute une mythologie et une myriade de personnages. Intrigué, George R. R. Martin écrit le chapitre suivant : il vient de mettre le doigt dans un engrenage. Au fil de cet été 1991, il écrira une centaine de pages, donnant naissance à Daenerys, héritière en exil du Trône de fer, Tyrion Lannister, stratège redoutable et licencieux, Jon Snow, bâtard ombrageux du seigneur du nord, et dessinera la carte des Sept Royaumes, qui abriteront l’œuvre de sa vie.
D’Hollywood à la Bretagne
Appelé par Hollywood pour travailler sur un nouveau projet, George R. R. Martin est contraint de mettre son manuscrit de côté pendant deux ans. Depuis 1983 et la catastrophe commerciale de son quatrième roman, Armaggedon Rag, il gagne sa vie en écrivant des scénarios pour le petit écran. Après avoir longtemps travaillé sur les séries La quatrième dimension et La Belle et la Bête, il est éreinté par les concessions perpétuelles qu’imposent les sociétés de production. Ses batailles épiques opposant des armées de 10 000 soldats deviennent des duels, ses galeries de personnages sont réduites à une poignée de rôles, et ses dialogues coupés au profit de scènes d’action aseptisées. L’écrivain trépigne de retrouver sa liberté créative.
En 1993, il part s’aérer l’esprit en Europe. Passionné d’histoire, il explore la Bretagne et visite les villages médiévaux français. Tyrion, Jon et Daenerys l’accompagnent sur les remparts des châteaux et dans les rues étroites des cités moyenâgeuses. De retour à Santa Fe, où il vit alors depuis quinze ans, George R. R. Martin reprend son ouvrage. Et cette fois, il n’est plus question de contraintes techniques ou budgétaires. Son histoire comptera des dragons, des bateaux de guerre et de créatures légendaires. Chaque page appelle de nouveaux détails : une généalogie, des mythes, une géographie, des langues…
Agacé par le Moyen-Âge stéréotypé des œuvres d’epic fantasy, George R. R. Martin dévore des dizaines d’ouvrages historiques. Subjugué par la saga de Maurice Druon, Les Rois Maudits, il se plonge dans la guerre de Cent Ans et dans les récits de la Guerre des Deux-Roses, qui opposa, dans l’Angleterre du XVème siècle, les maisons royales Lancaster et York (qui lui inspireront les Lannister et les Stark). Roman de fantasy pour adultes, Le Trône de fer raconte sans fard la guerre et sa violence. Un thème cher à George R. R. Martin, objecteur de conscience pendant la guerre du Vietnam, marqué par les souvenirs de ses amis ravagés par l’horreur du front.
En 1994, il se décide à envoyer à ses premières pages à quelques éditeurs. Il signe avec Bantam Spectra un contrat pour une trilogie, trois livres en trois ans. (Un vœu pieux : il travaille depuis près de 30 ans sur cette saga qui devrait comporter 7 opus. Voilà huit ans que ses lecteurs attendent le sixième tome, The Winds of winter.)
Le 1er août 1996, le premier volet du Trône de fer est enfin publié et remporte le prestigieux prix Locus l’année suivante. George R. R. Martin, qui a ajouté un R pour se différencier du producteur des Beatles, est considéré comme l’un des plus grands auteurs de fantasy contemporains. Sa saga est traduite dans 47 pays et rassemble plus de 85 millions de lecteurs. Un destin rêvé pour ce fils d’un docker alcoolique, élevé dans un HLM de Bayonne (New Jersey). Il y a 60 ans, les camarades de George R. R. Martin étaient pendus à ses lèvres lorsqu’il racontait ses histoires de monstres contre des barres chocolatées. Dimanche, 173 pays découvriront le sort qu’HBO a réservé à ses personnages. Alors, qui montera sur le Trône de fer ? Winter is here.