Effondrement ou sursaut ? Dans quelques années, les historiens se diront – peut-être – qu’il y a eu un avant et un après la démission de Nicolas Hulot se demandant : “où sont mes troupes?“. Pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus, ou qui au contraire veulent s’armer contre les climato-sceptiques, voici des lectures édifiantes.
Désormais, on la voit, on la sent, on l’entend. La crise environnementale s’invite dans le réel. Loin de se limiter à des débats savants, à une pelletée de chiffres alarmants sur l’avenir de notre planète, le changement climatique est observable à l’œil nu, il est palpable même sous des cieux aussi tempérés que les nôtres. Les abeilles disparaissent bel et bien de nos massifs de fleurs, les oiseaux se raréfient dans nos campagnes, les falaises sur nos côtes s’effondrent, les étés caniculaires deviennent la norme. Et surtout, on observe des marches et des rafiots de fortunes, fuyant la misère comme les désordres climatiques, affluer de par le monde vers des terres plus hospitalières. Face à ces signaux, on peut lire les rapports des experts du GIEC, qui tente d’estimer les degrés supplémentaires qui nous tomberont dessus. Mais on peut également jeter un coup d’œil dans le rétro et relire Jared Diamond. Avec “Effondrement”, c’est l’effarement garanti. Au cours de la lecture, tout lecteur sent le vent du boulet passer non loin de lui et surtout se voit projeter un miroir qui fait réfléchir.
Rescapés d’une catastrophe
Les Mayas ou les Vikings au Groenland. L’ouvrage s’ouvre sur les ruines des civilisations anciennes dont le gigantisme, aujourd’hui dépouillé, et le romantisme qui s’en dégage époustouflent le visiteur. Mais d’autres touristes médusés, dans l’avenir, admireront-ils les débris rouillés des gratte-ciels new-yorkais ? Notre planète pourrait bien devenir celle des Singes. Par la faute des hommes.
Mais s’il n’y avait qu’une séquence du livre à retenir, à épingler et à diffuser auprès des climatosceptiques au Brésil ou aux États-Unis, ce serait celle dédiée à l’île de Pâques. Ce cas d’école pourrait figurer dans un tube à essai de laboratoire tant cet exemple est « pur » et parfait. Si cette île du Pacifique Sud a tant fasciné, ce n’est pas seulement parce que 300 moaï, ces immenses statues de pierre d’une hauteur de 10 mètres, interpellent forcément des visiteurs sidérés d’être ainsi dominés par ces bustes d’hommes aux têtes disproportionnées. C’est aussi parce que l’effarement des premiers navigateurs européens, depuis 1722, nous poursuit encore. Comment les habitants de l’île, les Pascuans, ont-ils pu ériger de telles statues ? Le Hollandais Jakob Roggeveen découvre une île où la nature est rabougrie. Des insectes et des rats pour toute faune sauvage. Des arbustes et des herbes, mais aucun arbre. Or, sans arbres, pas de cordes. Et sans animaux, pas de force de trait. Quant aux habitants, Cook les décrit en 1774 comme « petits, maigres, effarouchés et misérables ». Dès lors, comment sculpter, transporter et ériger les immenses statues qu’ils ont sculptées ? Avec la seule force musculaire de ce peuple malingre ?
C’est là que l’on entre dans le vif du sujet : l’écologie. Jared Diamond explique que les navigateurs européens n’avaient découvert que les rescapés d’une civilisation qui avait détruit son territoire à force de le surexploiter. À leur arrivée, les peuples polynésiens ont peuplé une île abritant une forêt subtropicale peuplée de grands arbres, dont la luxuriance appâtait quantité d’oiseaux, terrestres et marins. À force de chasse, de pêche et de déboisement, les Pascuans dilapidèrent ces ressources sans compter et sans se soucier de leur renouvellement. Les habitants se sont multipliés et ont mobilisé leur énergie dans la construction de ces moaï. Jusqu’au dernier arbre, ils défrichèrent pour cultiver et exploiter l’écorce des arbres et confectionner de grosses cordes, nécessaires à l’acheminement des statues.
Conséquence immédiate, l’ensemble des oiseaux disparurent, tout comme les noix de palmiers et les fruits sauvages. Cette intense déforestation provoqua aussi l’érosion et l’appauvrissement des sols, diminuant les rendements agricoles. Dévitalisée, l’île devenait aussi une prison : faute de bois, la pêche en haute mer des marsouins et du thon devenait impossible. Pour survivre, les habitants démultiplièrent les poulaillers et habituèrent leurs palais au goût du rat…
Les dernières statues érigées furent aussi les plus imposantes : les habitants imploraient leurs dieux. Mais ces divinités demeuraient sourdes. La pénurie débouchait sur la famine et la guerre entre la dizaine de clans qui coexistaient pacifiquement jusque-là sur l’île. Les habitants renversèrent leurs statues et se mirent à exploiter la dernière ressource de viande disponible : l’humain. La pire injure était alors : « La chair de ta mère est coincée entre mes dents ». On a retrouvé des os brisés pour en extraire la moelle. Dans cette catastrophe écologique, la population a fondu de 90%.
Nos voitures, leurs statues
Cette histoire nous parle. « La parallèle que l’on peut établir entre Pâques et l’ensemble de monde moderne sont d’une dramatique évidence », écrit Jared Diamond. Comme l’île de Pâques, caillou totalement isolé au milieu des mers, nous ne disposons pas de planète B. Notre défi est aussi de ne pas puiser davantage de ressources que notre planète peut en régénérer.
Les derniers écrits “Brèves réponses aux grandes questions de notre temps” de Stephen Hawking, issus de son livre posthume, dresse un constat sur notre époque qu’il est saisissant de lier avec l’île de Pâques. Celle-ci était trop petite pour les Pascuans qui ont géré leur frustration avec la construction de statues dont la construction a englouti leurs ressources. De même, Stephen Hawking, explique que « (la Terre) devient trop petite pour nous. Nos ressources physiques s’épuisent à un rythme alarmant. Nous avons suscité le désastreux changement climatique (…). Nous voulons des voitures, des voyages lointains et un niveau de vie élevé. » La vie matérielle, telles sont nos statues modernes.
Et Stephen Hawking d’ajouter que « quand l’humanité a rencontré des crises analogues dans le passé, elle a trouvé de nombreux lieux à coloniser. C’est ce que fit Christophe Colomb en 1492 en découvrant l’Amérique. Mais il n’y a plus de nouveau monde sur cette planète (…) ». Les pascuans non plus n’avaient pas d’autres espaces à explorer. Leur isolement les a stimulés à construire leurs statues. Il leur fallait un défi à relever, une œuvre à accomplir. L’exploration de nouveaux espaces représente une soupape pour l’humain que la nature pousse à la curiosité.
C’est la raison pour laquelle Stephen Hawking appelait de ses vœux à poursuivre la recherche spatiale afin de partir coloniser de nouvelles planètes. « Ne pas quitter un jour la planète Terre, ce serait comme refuser, pour un naufragé, de quitter son île déserte ». Quitter l’île de Pâques, en somme.
Entendre l’avertissement
Diamond n’est pas un conteur foncièrement catastrophiste pour autant. Son style d’écriture, scientifique, implacable mais factuel, est tout sauf hollywoodien. L’auteur relate aussi l’histoire d’autres peuples qui ont su faire pivoter leur modèle. En Islande, les Vikings ont également massacré leur environnement, transformant en quelques décennies leur île verte en territoire largement lunaire. Les colons pratiquaient un élevage inadapté aux sols très fragiles de cette île volcanique. Mais ce constat posé, ils ont radicalement changé de modèle d’agriculture et l’Islande est aujourd’hui un des pays les plus riches au monde.
Une fois le livre Effondrement digéré, un individu normalement constitué aura a priori envie d’en ouvrir un autre… Pour agir. Le livre de la journaliste Julie Niel Villemin, “Les 101 règles d’or de la Green attitude” semble tout indiqué. D’astuces en petits gestes, la conscience écologiste se met en pratique. Récupérer l’eau de pluie pour arroser le jardin, trier ses déchets, manger des aliments de saison, bien sûr. Mais aussi utiliser son « pouvoir du caddie » et son bulletin de vote pour influer sur les industriels et les politiques. Julie Niel Villemin en est persuadée : à la base de tous ces changements nécessaire, « le déterminisme, c’est l’humain ». Lire les étiquettes des produits pour en bannir l’huile de palme, manger local, en finir avec les sacs en plastiques ou interdire les cotons tiges.
Ne pas tout attendre des pouvoir publics
Agir, c’est aussi renouer avec la contrainte individuelle à laquelle nous avons tous essayé de nous soustraire pendant des décennies. « On ne peut pas tout attendre des pouvoirs publics. Le jardinier du dimanche qui utilise du désherbant est aussi responsable de l’utilisation des produits phytosanitaires que l’agriculteur ». Tous nos comportements doivent être repensés. « Il va falloir aller plus loin, ce n’est pas normal que le train coûte parfois plus cher que l’avion ». la journaliste se montre « plutôt optimiste » en observant des gens « qui commencent à évoluer alors qu’ils étaient réticents ».
Au milieu de leur forêt abondante et sans ennemi, les Pascuans pensaient leurs richesses éternelles. Mais ils ont fini par s’entredévorer pour survivre. À méditer pour ceux qui auraient encore du mal à couper l’eau quand ils se brossent les dents.
Excellent article qui remet la pensée en mouvement.