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Les hussards noirs du livre

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Il y avait les hussards noirs de la République. Ces instituteurs qui se donnaient corps et âmes pour l'instruction publique et la transmission des valeurs républicaines. Il y a aussi les hussards noirs du livre. Ceux qui donnent tout pour leur passion. Celle du livre. Les bouquinistes parisiens sont de cette trempe. Frédéric Pennel les a rencontrés. Enquête.

Pile dans la carte postale ! Les bouquinistes de Paris disposent d’un cadre de travail prisé. Ils profitent non seulement de la vue, mais ils contribuent à l’enrichir. À la poétiser. Les bords de Seine, dans le cœur historique de la capitale, représentent peut-être le lieu le plus photographié, le plus fantasmé au monde.

"Paris est la  seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres", écrivait Blaise Cendrars. Ce n'est plus tout à fait vrai, d’autres communes l’ont imitée. En revanche, c'est assurément la tradition la plus ancienne. Ces quelques 200 bouquinistes en plein air sont les héritiers d’une pratique vieille de quatre siècles. L’imprimerie inventée, le papier imprimé était alors devenu un bien commercial. Un commerce stratégique puisqu’il véhicule des idées. Petits colporteurs de tous poils, refourguant babioles, gazettes et vieux bouquins convergeaient vers le Pont Neuf comme un sou. Ce quartier environnant la Samaritaine était, en ce début du XVIIème siècle, le cœur battant de la capitale. Les chalands y flânaient et faisaient circuler des libelles. C'est ici que les réputations s’y faisaient et s’y défaisaient. Pendant la Fronde, on y entonnait les mazarinades à l'encontre du Cardinal. Les marchands ambulants qui faisaient circuler le papier tombaient dans l’œil de mire des libraires, jugeant cette concurrence déloyale. La Couronne aussi les avait à l’œil. Les papelards qu'ils brassaient échappaient à toute censure alors que les révoltes grondaient et les complots s’ourdissaient. Interdits du Pont Neuf, ces vagabonds du papier se déportaient sur les rives de Seine. D’autres ordonnances frapperont par la suite ces « étalages en plein vent », jugés subversifs.

Mieux valait encore le crottin

Des temps révolus et une pratique rentrée dans le rang. Jusqu'à la couleur vert marine des quatre boîtes allouées par bouquiniste après deux entretiens de « motivation », tout est désormais institutionnalisé et réglementé par la Mairie. Les choses semblent s’être apaisées. Apaisées, vraiment ? Bien des tourments demeurent. Il faut voir ces vendeurs emmitouflés attendre des heures qu’un chaland s’attarde devant leurs étalages. Usés par les intempéries, sous la pluie et dans le froid, le nez dans les pots d’échappement. Les tympans frappés par les bruits des moteurs et des travaux de voirie. Anatole France  notait déjà, il y a un siècle, que les bouquinistes étaient « si bien travaillés par l'air, les pluies, les gelées, les neiges, les brouillards et le grand soleil, qu'ils finissent par ressembler aux vieilles statues des cathédrales ».  Mais le bruit des fiacres et l’odeur du crottin de cheval valait sûrement mieux que les klaxons et les intenses décharges de CO2 d’aujourd’hui.  Sans parler de l’insécurité avec les pickpockets qui rodent. Des bandes d’enfants qui traînent en meute et détroussent des touristes sur les trottoirs.