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Jérôme Attal : “Quand j’écris, je joue aux playmobils”

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Drôle, bien écrit et passionnant. Voilà trois mots qui résument parfaitement le dernier livre de Jérôme Attal “37, étoiles filantes”. Quand Alberto Giacometti veut casser la figure de Jean-Paul Sartre qui se moque de lui dans tout Paris. Hilarant, mais pas que…

Photos Patrice Normand

Ernest Mag Etoiles Filantes Attal ItwAvec Jérôme Attal, le lecteur est certain de ne jamais s’ennuyer. Qualité rare qui apparaît parfois comme inutile mais que nombre d’auteurs feraient bien de travailler. Son dernier roman « 37, étoiles filantes » ne déroge pas à la règle. Les fans de Jérôme Attal (Les jonquilles de Green Park, L’appel de Portobello Road etc…) s’y retrouveront aisément. Mais, chez Ernest, nous faisons un pari : avec  » 37, étoiles filantes« , Jérôme Attal va toucher un public nouveau et plus large qui lui aussi va tomber sous le charme du sens de la formule et des idées farfelues mais géniales de l’auteur. Nous sommes dans les années 30, Alberto Giacometti n’est pas encore un grand sculpteur. Il vit de commandes pas forcément intéressantes et passe son temps dans les cafés de Montparnasse où tout peut arriver. Un soir, une voiture lui roule sur le pied.

Drôle et virevoltant !

Alberto est envoyé à l’hôpital. Il se fait dorloter par les infirmières. Et il adore ça. Apprenant la mésaventure d’Alberto Giacometti, Jean-Paul Sartre lance : « il lui est enfin arrivé quelque chose ». Évidemment cette pique revient aux oreilles du sculpteur qui n’a plus qu’une seule idée en tête : casser la figure du philosophe. Et voilà que le roman de Jérôme Attal virevolte dans tous les sens et emporte le lecteur dans le Paris des années 30 où la Belle époque se termine et où le poids de la situation politique mondiale commence à peser. Dans ce Paris des années 30, Attal invente, brode et surtout s’amuse et le lecteur avec lui des hasards de la vie, du besoin d’inattendu pour faire surgir de la beauté et de l’art. Un moment de lecture réjouissant et joyeux. Idéal pour lutter contre le coup de blues de la rentrée. Et pour prolonger la magie, nous avons rencontré Jérôme Attal.

Le point de départ du livre est cet accident de Giacometti qui l’oblige à rester au lit pendant plusieurs jours et cette blague de Sartre se moquant de Giacometti dans les diners et scandant qu’il « lui était enfin arrivé quelque chose » … Comment avez-vous eu vent de cette anecdote ? Est-elle réelle ?

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Cette anecdote me plaisait. Je l’ai découverte en lisant un entretien du peintre Balthus. Il raconte cette histoire. Je la trouve rocambolesque et réellement drôle. Après, est-ce vrai ? Il n’y a qu’une seule source. Donc… Ce qui est certain c’est qu’en 1937, Giacometti se fait renverser par une voiture américaine, conduite par une américaine. Cela le conduit à rester alité pendant plusieurs jours. Il a le métatarse en bouillie, il boîte pendant quelque temps et Giacometti deviendra mondialement connu avec l’homme qui marche. Je trouvais déjà cette partie de l’histoire très intéressante. Je me suis souvenu aussi que Sartre va écrire sur Giacometti dans le futur et je trouvais drôle qu’il puisse balancer une telle vacherie sur lui quelques années auparavant. Je me souvenais aussi d’un Apostrophes où Pivot demande à Duras : qui sont les écrivains du siècle ? Duras répond : « Blanchot et Bataille ». Pivot est outré il dit :  « mais il y a Sartre aussi » ! Marguerite répond : « non parce que Sartre a toujours besoin des autres pour écrire, or un écrivain, c’est quelqu’un qui part de lui et fait d’un journal intime une œuvre littéraire ». Tout ce contexte me plaisait beaucoup et c’est comme cela que je me suis lancé dans ce roman.

L’année 1937 et Montparnasse sont aussi des personnages du livre ?

Oui. Ce sont les derniers feu de l’insouciance. La guerre d’Espagne est déjà fortement engagée. Franco est soutenu par Hitler et Mussolini, tandis que les démocraties rechignent à venir en aide aux Républicains. Montparnasse est alors un lieu où certains des Républicains viennent se réfugier avant de repartir au combat. Cette insouciance est une étoile filante, elle brûle et elle file très vite.

Qu’est-ce qui vous parle dans les années 30 ?

J’aime plus les personnages que l’époque elle-même. J’aime la dynamique de ces personnalités, leur côté éperdu, leur côté séducteur, leur côté artiste. L’intérêt réside d’abord dans les personnalités puis j’entraîne l’époque derrière. En 1937, il y avait l’expo universelle, il y avait donc des nazis à Paris. D’où l’histoire de la bagarre dans Paris entre Giacometti et des nazis qui ennuient une juive. J’ai fait du romanesque avec du réel. J’ai aimé faire entrer Mauriac aussi dans le roman. Et imaginer ce diner, chez lui, avec Sartre et sa maîtresse Olga. Et faire en sorte que Jean-Paul expose à la servante ces premiers embryons de théorie de l’existentialisme. Ce qui m’intéresse c’est les sentiments, les réactions humaines, l’imagination. L’association Sartre et Giacometti est sympathique car ils sont très différents. L’un est séducteur et gouailleur, l’autre est plus réfléchi, mais leur point commun est réel : ils sont à Paris et il veulent se taper des filles. Alors, ils montent des stratagèmes. C’est cela que j’ai aimé mettre en scène.

On sent un poil plus de tendresse pour Giacometti que pour Sartre… La part de Jérôme Attal dans chacun de ces deux personnages que vous inventez, elle est où ?

Jerome Attal ErnestJe suis un peu dans les deux. Vraiment. Après Giacometti est le héros du livre. Forcément, il apparaît sous un jour plus joyeux. Mais je me retrouve aussi dans Sartre. Dans le fait qu’il n’arrive pas réellement à séduire Olga, dans le fait qu’il a un problème de distance avec le réel. Dans ce livre j’imagine une scène où il marche dans la rue avec elle et où il rêve qu’il ouvre une porte cochère pour l’embrasser sauvagement. Mais dans l’instant, il se rappelle qu’il « est Jean-Paul Sartre » et qu’il n’est pas Giacometti. Je suis un peu comme Sartre. J’ai du mal à saisir les choses et l’instant. Au final, Giacometti a aussi un problème de distance. Entre ce qu’il imagine et ce qu’il réalise au niveau de son art. Il est en recherche permanente de l’émotion. Ce qui est drôle c’est que les deux sont en recherche de notoriété. Giacometti sort du surréalisme, il est apparu dans l’Amour fou d’André Breton et il croit qu’il est cantonné à des choses un peu fantaisistes.

“Dans les années 30, Paris est la plaque tournante des exilés. Ils apportent leur folie, leur gourmandise, leur appétit de vivre”

Un peu comme vous, non ?

Justement, c’est très vrai. C’est l’un des trais de caractère de Giacometti que je ressens réellement. Après, je sais que je ne pourrais pas écrire des choses qui ne soient pas – un peu – fantaisistes.

Quel est le lien entre la folie de la période des années 30 et la folie des personnages ?

La folie vient peut-être aussi du déracinement, de l’exil. A ce moment là, Paris est la plaque tournante des exilés – Roumains, Italiens, des Juifs russes comme Chagall. L’exil joue dans cette folie, dans cette gourmandise et dans cet appétit de vivre. La période ressemble un peu à celle d’aujourd’hui. Nous sommes dans un moment très complexe, et nous essayons de grappiller des moments d’insouciance.

« Grappiller des moments d’insouciance ». Est-ce le rôle d’un écrivain pour ses lecteurs ? Leur permettre de grappiller  de l’insousciance …

Oui, mais il faut aussi des phrases qui touchent au cœur. Qui percutent, qui parlent ou qui happent.

Dans tous vos livres, il y a cette forte capacité à créer du romanesque et de l’imaginaire. Pour vous, c’est quoi un roman Jerome Attal 06réussi ?

C’est difficile à dire parce qu’aujourd’hui on a tendance à considérer que les romans réussis sont ceux qui nous emportent comme une série comme HBO ou Netflix. Le page-turner est devenu le maître étalon de la mesure d’un roman réussi. Cela peut être vrai, mais pas toujours. Et surtout, personnellement, je préfère regarder une série. L’idéal dans un roman, c’est quand même qu’il y ait des phrases que l’on a envie de garder pour soi.
Dans mes livres, j’essaye qu’il y ait une intrigue et une dynamique, mais qu’il y ait aussi et surtout une alchimie, que le lecteur puisse adhérer et vibre grâce aux étincelles des phrases. Il faut une émulsion. L’écriture est mon territoire.

« On écrit ou on fait de la création quand il y a une différence forte entre ce que ce que l’on est au plus profond de nous et ce que la vie nous donne »

J’ai l’impression que pour vous la musique de  l’écriture et les phrases comptent plus que l’histoire elle-même ?

Je ne sais pas. Ce qui est beau dans la littérature c’est ce que Saint-Simon appelait les « ténèbres des têtes à têtes ». Chaque lecteur a sa musique. Et il faut que la musique de l’auteur entre en communication avec celle du lecteur. Après sur l’histoire et la phrase, il faut une alliance des deux. J’aime beaucoup l’un des livres de Salinger qui s’appelle « Dresser haut la poutre ». C’est l’histoire d’un type qui sort d’un mariage et qui se retrouve à l’arrière d’une voiture. Évidemment l’intrigue est légère, mais il y a plein de vie ! Comme dans le livre éponyme de John Fante. Ces livres de Brautigan, de Salinger, de Fante sont des livres où le sentiment est puissant et que l’on a envie d’avoir toujours avec soi.

Jerome AttalDes livres où en partant de l’intime on peut tirer du romanesque et pourquoi pas une leçon de vie universelle….

Exactement. Je trouve cela très intéressant de partir d’un rien d’une anecdote, d’une sensation, pour développer des personnages et un imaginaire. J’aime créer des terrains de jeu. Quand j’étais enfant j’étais fils unique, j’avais plein de copains, mais ce que j’aimais le plus, c’était rentrer chez moi, monter dans ma chambre et jouer avec mes playmobils ou mes légos. Et inventer des histoires. Je fais cela encore aujourd’hui en écrivant. J’invente des univers. La fille que j’ai vue dans la rue et à laquelle je n’ai pas parlé, j’irais lui parler dans un roman.

Ça dit quoi de nous ces émotions que l’on peut avoir et que l’on traduit en imaginaire…

Ah ah c’est une bonne question. Tu penses que cela dit que l’on est pas assez dans l’instant et que l’on doit les recomposer ?

Peut-être, je me pose la question, en tout cas.

Cela veut peut-être dire que celui qui vit vraiment héroïquement comme un héros n’a pas besoin d’écrire. C’est ce qui me vient quand j’écoute cette question…. Dans les livres, on met plein de choses que l’on ne peut pas vivre en réalité, car on n’est pas des monstres ni des héros. Et j’aime cette phrase de Deleuze que je trouve très juste : « On écrit ou on fait de la création quand il y a une différence forte entre ce que ce que l’on est au plus profond de nous et ce que la vie nous donne ».

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