Dans ces temps troublés où la vilénie dispute à la bêtise et à l’ambition personnelle, relire les ouvrages passés éclairent parfois sur le présent. Gaëlle Bohé a relu José Saramago. Elle nous raconte.
Par Gaëlle Bohé
Les romans d’anticipation ont souvent présumé de situations d’une effrayante actualité. Mais quand les farces corrosives et acerbes semblent plus pâles que la réalité, le rire se coince, l’espoir s’étouffe.
Sous la plume de José Saramago, écrivain et journaliste portugais (1922-2010), prix Nobel de littérature, La lucidité fait écho à L’aveuglement écrit neuf années plus tôt.
En 1995, la population était victime d’une foudroyante cécité et l’armée, prise de panique, s’embourbait dans la violence d’État pour se révéler incapable de trouver une réponse créative et sensée à la situation. En 2004, la capitale soumise à l’élection municipale fait le choix, dans une écrasante majorité – à 83% – de voter blanc. Incrédule, le gouvernement crie à l’insurrection populaire, au terrorisme démocratique… et décide de renouveler l’élection. Mais rien n’y fait, les citoyens sont têtus et décidés, et le blanc est à nouveau plébiscité. Que faire face à une révolte légale, pacifique et diffuse ? Enquêter, trouver les commanditaires, punir les coupables, étouffer la ville, écraser la révolte ?
C’est dans les méandres du pouvoir et les couloirs des ministères que l’auteur nous projette. Au travers de phrases sinueuses où la pensée s’égare et les mots se prennent dans le tapis, le parti de gauche, le parti du centre et le parti de droite se font la guerre, les ministres s’accrochent et la police tente d’obéir aux injonctions contradictoires.
Un roman, une fiction ? « Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence », aurait pu ajouter l’éditeur en épigraphe.
La lucidité, José Saramago, 2004, Points Seuil