Devenu aussi populaire à la télévision qu’en librairie, Harlan Coben continue d’avancer sans s’essouffler, préservant dans ses fictions et son personnage une humanité qui le distingue des pures machines à best-sellers.
Chaque nouveau livre d’Harlan Coben a un parfum de Madeleine de Proust et le dernier, « Sur tes traces », confirme la règle. Tout y semble familier, la ville fictive proche de New York et du New Jersey, l’énigme incroyable du disparu qui ne l’est pas, le héros qui a raison seul contre tous, la dose d’humour, l’action, les surprises à chaque chapitre, le final qui s’accélère…
On se laisse prendre, comme à chaque fois depuis « Ne le dis à personne » (2001) et « Disparu à jamais » (2002), premiers jalons de cette veine du thriller domestique investie depuis par une foule d’autres auteurs. Le mystère fonctionne une fois encore car son argument reste basique : un père reçoit une preuve de vie de son enfant qu’il croyait mort et se lance à sa recherche. On sait d’où l’on part, on devine où l’on va, on ignore juste comment.
C’est aussi comme cela que le grand Harlan, 61 ans, a confectionné ses 35 livres pour adultes ou adolescents, dont 21 romans unitaires. Une idée de départ, une fin plus ou moins heureuse, un chemin tortueux pour y arriver. Avec à la clef 80 millions d’exemplaires vendus dans le monde, des traductions en 46 langues, une collection de récompenses et de nominations, des adaptations à la pelle pour le cinéma, le streaming ou la télé (1).
Son éditeur pour les Etats-Unis et le Royaume-Uni, Century, s’est réjoui de lui signer un contrat pour cinq nouveaux titres après celui-ci. Logique. Comme leur créateur, ces fictions bien troussées ont un fond rassurant, presque confortable. Harlan Coben assume leur vocation divertissante sans prétendre à d’autres messages que la bienveillance, l’altruisme, le sens de l’amitié et de la famille. Les mêmes valeurs qu’il affiche dans l’image publique qu’il projette, dépouillée d’artifices.
On s’attend parfois à ce qu’il aille plus loin, s’engage franchement sur des sujets qui, peut-être, lui tiennent à cœur. Mais ce n’est pas sa façon de faire ni de s’exprimer. Les questions de société, telles que l’éducation des enfants ou la puissance des réseaux sociaux, suffisent largement à son inspiration. C’est ce qui transparaît dans ses réponses aux questions que nous lui avons adressées par mail, après qu’il a dû annuler sa tournée de promotion en France et ses interviews.
Vous aviez l’idée de ce livre bien avant de l’écrire : avez-vous des réserves d’idées d’avance ?
Harlan Coben : Oui. Je garde toutes les idées que j’ai eues depuis le début des années 1990 (son premier livre, « Sans un adieu », est sorti en 1990 NDLR). La grande majorité d’entre elles ne verront jamais la lumière du jour ou ne feront jamais un livre. Mais elles sont là et quand je joue avec une nouvelle idée, j’aime revisiter les anciennes. Parfois, je trouve quelque chose que je peux mettre à jour ou combiner avec d’autres idées plus récentes. Par exemple, pendant de nombreuses années, j’ai voulu écrire un livre impliquant un vol d’œuvre d’art. Je ne l’ai pas fait mais, quand j’ai écrit « Win » (« Gagner n’est pas jouer », 2021 NDLR), le vol m’est revenu et a fini par devenir une partie importante de l’intrigue.
Un auteur de thriller doit-il en faire davantage aujourd’hui – être plus exigeant avec lui-même – qu’il y a une trentaine d’années, quand vous avez débuté ?
Harlan Coben : Nous avons certainement plus de concurrence pour attirer votre attention : Internet, les réseaux sociaux, l’infobésité (« doomscrolling » NDLR), les chaînes de streaming, les jeux vidéo, etc. Je ne sais pas si cela change ma façon d’écrire. J’ai toujours voulu écrire l’histoire la plus captivante et la plus émouvante possible, et j’ai toujours été très exigeant envers moi-même. Je suis mon critique le plus dur. Ça n’a pas changé. Ce n’est pas comme si je disais : « Il est plus difficile d’attirer l’attention des gens maintenant, je ferais mieux de faire X au lieu de Y. » J’ai toujours ressenti cette pression et je m’en suis nourri.
Vos livres jouent parfois avec les peurs du moment, comme celle de l’univers digital. Les gens ont-ils aujourd’hui davantage de raisons
d’avoir peur qu’il y a trente ans ?
Harlan Coben : Je pense que oui, malheureusement. Nous nous sommes trompés à propos des réseaux sociaux. Nous avons encouragé le pire. Ils

Harlan Coben en dédicace à Saint-Maur en poche en 2015. Photo David Medioni
veulent que vous soyez accro et en colère, que vous continuiez à scroller et à vous engager, non pas par empathie ou compréhension, mais en vous divisant et en vous rendant haineux. Les réseaux sociaux font de vous un extrémiste. Ils remplacent l’étude ou l’éducation par de simples mèmes et des slogans.
Vous réagissez, au lieu de penser et d’apprendre. Vous êtes sous la pression de vos pairs pour « prendre parti », même lorsque vous ne savez rien. Ils sont performatifs et valorisent la « signalisation de la vertu » par rapport à la vertu réelle. Ils déshumanisent ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord, ce qui mène à la violence dans le monde réel. Ils font tout cela – nous diviser – parce que c’est ainsi qu’ils obtiennent plus de vues et qu’ils gagnent plus d’argent. C’est aussi simple que cela. Et maintenant, je crains que nous ne prenions le même chemin avec l’intelligence artificielle.
“La série télé, au niveau créatif, c’est le meilleur des deux mondes”
La moitié de vos romans sont devenus des films ou téléfilms (1) : ces adaptations vous amènent-elles des lecteurs ?
Harlan Coben : Je ne sais pas combien de nouveaux lecteurs je gagne grâce aux adaptations. Je suppose que certaines personnes regarderont une série sur Netflix et chercheront ensuite les livres. Mais je ne prête pas vraiment attention à l’impact direct. Je le fais parce que j’aime raconter des histoires sous toutes leurs formes. J’aime le travail solitaire dans l’écriture d’un roman et je peux désormais prendre plaisir à collaborer avec d’autres lorsque je fais une série télévisée ou un film. C’est le meilleur des deux mondes sur le plan créatif. Beaucoup de gens en France savent que ma première adaptation a été le film français « Ne le dis à personne » (2006 NDLR). Je ne peux pas vous dire quelle expérience merveilleuse cela a été de collaborer avec Guillaume Canet et le reste de l’équipe… (il cite tous les interprètes. NDLR). C’était la première fois où je faisais confiance aux autres dans mon travail et où je faisais partie d’une équipe.
Seriez-vous prêt à vous engager politiquement, au risque de déplaire à certains lecteurs ?
Harlan Coben : Cela fait trop longtemps que j’écris pour encore m’inquiéter de déplaire aux lecteurs, mais je crois que mon travail est la meilleure façon de contribuer à un débat. Si vous vous plongez dans un de mes romans ou un de mes programmes de télévision en pensant « Oh, c’est un manipulateur de droite » ou « Oh, c’est un fou de gauche », ça va vous gâcher le plaisir. Je veux que mes livres soient une échappatoire. Je veux vous montrer ce que je pense et peut-être même vous apprendre quelque chose de la façon la plus ancienne et la plus efficace possible : par l’histoire. Je ne veux pas participer au moyen de mèmes simplistes ou de publications sur les réseaux sociaux qui, comme je l’ai dit, n’ont d’autre but que nous diviser.
Vous êtes écrivain, producteur, scénariste, père de famille, mari… est-ce que vous craignez l’ennui ?
Harlan Coben : En ce moment, j’aurais bien besoin d’un peu d’ennui dans ma vie ! Entre les diverses adaptations et les romans, il se passe un tas de choses. J’aime mon travail, mais je deviens obsédé. J’ai du mal à sortir de la spirale du boulot.
« Sur tes traces », Harlan Coben, Belfond, 384 pages, 22,90€
A noter : Un roman adapté au cinéma (« Ne le dis à personne »), 14 achetés par Netflix (6 déjà adaptés, 8 à venir), 1 adapté pour Amazon Prime (« Shelter », tiré de « A découvert »), 2 pour TF1 (« Une chance de trop », « Juste un regard »). Harlan Coben est aussi l’auteur des séries « Safe » (Netflix) et « The Five » (Canal+)
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