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Cultiver l’espoir

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Jean-Marie Quéméner signe “J’ai mille ans…” Roman puissant. Roman humaniste. Roman de grand reporter. Un roman qui ne quitte plus le lecteur une fois refermé. Rencontre récit avec l’auteur qui malgré la cruauté du monde cultive l’espoir.

Par Martin Fargal

On lit sur le visage de l’enfant un mélange de soulagement et d’inquiétude. Elle est dans les bras d’un carabinieri, elle lance ses bras vers sa mère qui approche, sourire aux lèvres. Soulagement de retrouver sa mère après la cohue de l’arrivée, inquiétudes aux souvenirs d’un voyage qui n’en est pas un. “J’ai fait la chose la plus naturelle du monde” a réagit le policier italien. Un peu d’humanité à la sortie de l’enfer. La vidéo a fait le tour du monde. C’était il y a quelques semaines sur L’ile de Lampedusa, en trois jours 8.000 migrants sont arrivés sur l’ile italienne.

9782385770037ORITee-shirt rouge, short bleu, les bras le long du corps sont ballotés par les vagues. Dans les chaussures, les pieds s’enfoncent dans le sable. Le visage est tourné vers nous, il semble dormir. Aux pieds d’un policier Aylan est mort. Noyé. Sa photo, son visage ont été le visage de la crise des migrants syriens en 2015. Deux visages d’enfant quand les médias s’intéressent à eux, à l’arrivée en Europe. Entre les deux il s’est passé 8 ans. Déjà. Entre les deux images il y a Amal. Il y a les mots de Jean-Marie Quemener, il y a le roman, “J’ai mille ans…”. Il y a une route, un enfer, qu’a décidé de raconter l’auteur breton.

Amal est Soudanaise, fille d’une prostituée dans un village d’orpailleurs et de contrebandier, Amal est un joyau, pas seulement pour sa mère. Pour le maquereau également, ses yeux verts et sa peau métissée sont le gage d’une “bonne marchandise” qui pourra rapporter. Hors de questions pour sa mère que sa fille suive la même vie qu’elle, elles partiront. Vers la France, le pays du père d’Amal. Du Soudan à la Méditerranée c’est Amal qui nous raconte ce chemin de l’enfer. Elle a mille ans, les réactions des hommes, elle les connait, elle les appréhende, elle les craint. L’exil est la seule sortie possible pour quitter la misère. Mère et fille rencontreront des alliés, des amis, des ennemis, des fausses amitiés, des vraies qui se finiront brutalement. Le danger, la peur, le rire et l’amitié, jusqu’au bateau qui doit les embarquer.

Amal raconte, naïve de sa hauteur de bébé, mais sage du haut de ses milles ans. Grand reporter au Moyen Orient, Jean-Marie Quemener se protège derrière son héroïne: “ Les camps de réfugiés se sont des usines à bébés, des usines à organes, comment l’écrire dans un livre? Un bébé peut le faire, et en même temps il ne peut pas tout raconter, ça reste un bébé.” L’auteur a vécu quatre ans au Soudan, le bordel, forteresse prison rose au milieu du désert il l’a vu. Les trafiquants, il leur a parlé. Les migrants, il les a croisé: “Ils vont à pied, je me demande toujours: est-ce que je saurai le faire?” Avec ce roman il dit avoir fait une synthèse de tous ces personnages croisés dans ses enquêtes et ailleurs. “Impossible de faire exister ces personnages dans un reportage où chacun à une vie propre. Le roman permet de faire une synthèse de toutes ces vies. La mère d’Amal n’a pas de nom car elle est toutes ces femmes qui prennent la route, sans savoir si elles arriveront au bout. Amal, ce sont tous ces enfants migrants.”

Au bout de la terre, en Libye, il y a la mer. Jean-Marie Quemener, marin quand ses occupations lui laissent le temps, nous embarque. Nous sommes 2b4e8e973231363932393735353738353037333738à bord. Ce dernier tiers du roman est le plus prenant. Un pilote qui sait à peine tenir la barre, un autre qui tient la carte:” C’est simple il faut aller tout droit et tourner à droite.” Le bateau qui se dégonfle, l’eau qui monte. Nous sommes avec Amal et sa mère, avec Assim quatre ans et sa maman, et tous ceux qui espèrent arriver en Europe.
Dans “J’ai mille ans…” tous les personnages croisés, même les “méchant” reflètent une part d’humanité. “L’humanité c’est qu’il y a de plus complexe, qu’est ce que ça veut dire? se demande l’auteur. L’inhumanité fait partie de l’humanité. J’espère écrire des livres humanistes avec une part d’ombre, de douleurs, d’exactions et de sacrifices. Pour être crédible on ne peut pas laisser que la part d’ombre.”
Une amie me racontait l’histoire d’un père et de son fils arrivés récemment en France. Partis de la République Démocratique du Congo le garçon avait alors deux ans. Ils viennent d’arriver, il en a neuf. Sept ans sur la route. Il a mille ans.
Avant Lampedusa, ou la Grèce, avant les chiffres et les images il y a des routes, des visages, des vies. Il y a l’enfer que raconte Jean-Marie Quemener. Un roman rattrapé par l’actualité. Un roman de grand reporter, Un roman qui ne vous lâchera pas. Amal signifie espoir.

“J’ai mille ans…” Jean Marie Quemener, éditions Récamier

Jean Marie Quemener a été prix Exbrayat des lycéens 2022, pour “Sombre éclats” – Plon

Ses trois titres “Humanistes” :

Les cavaliers – Joseph Kessel
L’étranger – Albert Camus
L’échiquier du mal – Dan Simmons

Toutes les inspirations d’Ernest sont là.

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