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Philosophie du etc.

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“Le etc… et les points de suspension sont vraiment le symbole des fainéants.” Ils sont deux, un homme et une femme. Dans un haut lieu de la langue et du langage. Ils se regardent. Se sourient. S’amusent. Ils sont visiblement contents de se voir. Peut-être s’aiment-ils. Ils discutent. Des choses et des mots. Et des points de suspension. De ce qu’ils veulent dire. De ce qu’ils signifient. “Un jour je t’écrirai une philosophie du etc.” dit l’un des deux en réponse à la première saillie. Échange doux, tendre, joyeux. Comme un échange d’amoureux. Cette fois, c’est certain. Ils s’amusent de leur désaccord. Elle affirme que non, vraiment, le etc, constitue une faute de goût, qu’il signe le fait que l’auteur n’assume pas complètement sa pensée.
Il n’est pas du tout d’accord. Il soutient au contraire que dans le etc. l’auteur fait appel à l’intelligence et à l’imagination du lecteur, il crée même une connivence avec lui en laissant libre cours à son interprétation. Il considère même que poser des points de suspension, c’est opérer un Tsim Tsoum du langage. Le Tsim Tsoum, dans la kabbale c’est quand Dieu se retire, et laisse à l’homme le soin de construire, en liberté. Les points de suspension, c’est le Tsim Tsoum du langage. L’auteur se retire, le lecteur et la lectrice imaginent…

Ils ne sont pas d’accord. Pas du tout. Ils rient. Ils argumentent. Trinquent. Se sourient. Se touchent les mains. Ils finissent par quitter le restaurant. Pour l’observateur, leur histoire d’amour reste en suspension. Comme si des points de suspension, comme si un etc. était là face à lui. S’il était romancier, il comblerait le vide. Il n’est qu’un éditorialiste du dimanche…

Toutefois, c’est alors qu’il songeait à un sujet pour la missive dominicale que cette observation lui est revenue en mémoire et qu’il s’est remémoré aussi les notes qu’il avait prises sur ce moment vécu. Ironie de l’histoire, imprévu de la pensée, il envisageait alors d’écrire pour ce dimanche un « éloge des imprévus ». De ces choses magiques qui surviennent lorsque l’on ne s’y attend pas. Dans son essai sur « les débuts », la philosophe Claire Marin écrit : “Les lignes imaginaires sont importantes, elles nourrissent la ligne réelle.” Une façon de dire que les deux amoureux ont raison.

Des points de suspension, pour nourrir l’imaginaire, et donc nourrir aussi le réel. Celui des baisers, des rires, des décisions prises, des joies, et même des peines. Se dire, malgré tout, que chérir l’imprévu, l’inattendu, et la suspension dans une société où tout doit être réservé, planifié, organisé, “intelligence artificielisé”, constitue quelque chose de profondément libérateur. Et se dire aussi, que lorsque des mots employés par le pouvoir sont ceux de l’ennemi, que l’ennemi lui-même profite de la commémoration des 80 ans de la mise sur orbite du Conseil national de la résistance (CNR) le 27 mai 1943 par Jean Moulin pour rendre hommage aux résistants que les fondateurs du parti de l’ennemi ont dénoncés et tués, il convient de ne jamais laisser des points de suspension. De dire toute la colère et l’envie d’engagement contre ces inepties que suscitent de tels positionnements. S’éloigner des amoureux ? Pas vraiment. L’auteur, le citoyen, l’amoureux doivent créer une philosophie du etc. De son emploi, comme de son refus.

Sinon, il parait que l’éditorialiste du dimanche a recroisé les deux amoureux. Ils poursuivaient la discussion. Ou peut-être pas. Peut-être les avait-il croisés séparément. Lui seul le sait…

Comme il n’est qu’un éditorialiste du dimanche, il laisse à ses lecteurs du petit-déjeuner ou à ses lectrices du fond du lit, le soin de remplir les points de suspension.

Bon dimanche,

L’édito paraît le dimanche dans l’Ernestine, notre lettre inspirante (inscrivez-vous c’est gratuit) et le lundi sur le site (abonnez-vous pour soutenir notre démarche)
 
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