“Rien de trop”. C’est l’une des maximes qui étaient gravées sur le mur du temple d’Apollon à Delphes en Grèce. Alors que les hasards de la vie ont fait revenir cette phrase à l’esprit, se demander ce qu’elle peut signifier aujourd’hui à l’heure où une simple recherche Google donne accès à l’immensité. Immensité des sources, immensité des données, immensité des connaissances.
Et pourtant, sentiment d’un rétrécissement. Rétrécissement des possibles, rétrécissements des ponts entre les gens, entre les mondes et rétrécissements des limites de la pensée. L’immensité ou plutôt l’abondance qui finalement rétrécit les choses, le monde, et les horizons. L’immensité qui enferme dans les certitudes. L’immensité, comme une liberté que l’on ne saisit pas. “There is no alternative”. “On a toujours fait comme ça”.
Faire face à cette maxime, à ces premières impressions et songer à une autre immensité. Celle offerte par la littérature qui n’a besoin de rien si ce n’est des mots et de l’imagination pour emmener avec elle, pour modifier les perceptions, pour changer les cœurs et pour faire grandir l’individuel comme le collectif.
“Tout dort autour de nous, mais lorsque la déesse inspirée passe, le bruissement de ses ailes nous permet de capter et de vivifier le Réel”, rappelle le fragment 40 d’Héraclite. Vivifier le réel grâce à l’inspiration. Inspiration d’un écrivain qui fit du combat contre tout ce qui oppresse l’Homme l’enjeu éthique de son œuvre. Inspiration d’un autre qui par des mots simples, efficaces, et agencés à nul autre pareil narra l’épreuve humaine de la guerre. L’énumération telle une liste à la Prévert pourrait ne jamais s’arrêter. Elle ne s’arrête d’ailleurs pas.
Revenir à ce “rien de trop”. Rien de trop et sentiment de trop plein, justement. Couronnement, chicayas de milliardaires, toute la connaissance à portée de clic et augmentation du nombre d’adeptes de la terre plate. Et une question : quand le trop produit le rien comment redonner du sens à cette maxime qui invite à la curiosité, à la recherche et à l’envie de soi et des autres ?
Justement par les mots. Ceux de la littérature qui donne l’accès à l’immense tout en s’adressant au particulier. Justement par les mots – inutiles et vains – mais toujours tracés ici chaque dimanche dans le seul but de tenter d’approcher l’inaccessible étoile de l’immensité de la sensation. Justement par des mots. Ceux, toujours justes de Romain Gary tracés dans Charge d’âme : “Il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s’arrêter, mais pour tenter l’impossible dans les meilleures conditions.”
Rien de trop, les amis, quand il s’agit de l’immensité offerte par nos imaginations.
Bon dimanche
Photo de Une : crédit DM
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