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Les petits princes

Petitprince

Drôle de semaine. Lire dans un auguste hebdomadaire une violente charge contre Antoine de Saint-Exupéry en général et contre son “Petit Prince” qui fête ses 80 ans ces derniers jours. Lire, par exemple, que ce livre ne serait qu’un tissu d’âneries dignes d’un mauvais manuel de développement personnel. Lire encore que le livre serait un manuel anti-écolo, un manuel spéciste qui, en plus de ces défauts, serait le livre préféré de PPDA. Pis, il serait glauque, très peu littéraire et finalement une œuvre à jeter. Relire ces mots. Se demander quelle mouche pouvait bien avoir piqué ces deux journalistes (oui, il s’y sont mis à deux).

Se souvenir de son propre émerveillement à la lecture de ce livre, de celui des enfants lorsque la transmission fût faite. Se souvenir de leur envie de le lire et de le relire. Se dire qu’au-delà du livre qu’il est, ce “Petit Prince” est surtout et avant tout un essai sur l’absurdité de l’univers des adultes civilisés. Un essai contre tous ceux et toutes celles qui ont renoncé à l’imagination, à l’amour et à l’amitié. Peut-être même est-ce un éloge de l’enfance à laquelle Saint-Exupéry nous convie dans une volonté farouche de transformation du monde grâce à la créativité et à l’audace de l’enfance. “Dessine-moi un mouton”.

Cela, non pas dans une complaisance pour l’innocence de l’enfance mais pour compléter l’âge adulte par une forme de plus grande sagesse. Celle de la fantaisie. Comme si Saint-Ex nous rappelait qu’il ne fallait en aucun cas confondre sens des responsabilité et esprit de sérieux et comme s’il nous conviait à chérir les moments de joie et d’addition dans le refus des tristesses de l’âge adulte. Réinventer la fantaisie dans la rigueur. N’est-ce pas cela le message de ce livre ? Comme si notre capacité à dessiner des moutons constituait aussi notre force pour changer le monde, et pour pimenter nos vies avec ce que l’on apprivoise sur notre chemin.

Songer à tout cela et songer aussi aux enfants d’Izieu déportés par la Gestapo avec la complicité de l’État français le 6 avril 1944. Dans les affaires retrouvées, des dessins. De ceux qui ressemblent à ceux du Petit Prince. Faits d’imaginaire. L’un d’entre eux représente, par exemple, une cigogne qui renverse un loup. Comme si l’imaginaire des enfants, même dans les moments les plus noirs pouvait guider l’humanité par sa force, par son optimisme, par sa puissance évocatrice. Songer aux enfants d’Ukraine. A ceux de Boutcha. Se demander ce qu’ils ont dessiné. Se dire qu’avant tout ça, peut-être, qu’un professeur leur avait narré l’histoire du Petit Prince. Peut-être que ces enfants, aujourd’hui, tracent comme ceux d’Izieu hier et comme le Petit Prince de Saint-Ex avant-hier, des fragments de leur bonheur dans le noir du monde et de la vie. Avoir l’envie de retrouver son esprit d’enfant. Pour vivre. Pour ressentir les pics de joie comme les pics de peine.

Avoir l’envie de relire le “Petit Prince” afin de rire avec un mouton dans un chapeau face à tous ceux et à toutes celles qui pensent que ce livre est un manuel de développement personnel. Être un Petit prince comme les autres le temps d’un dimanche, ou le temps d’une vie. Voir avec le cœur. Même quand il est blessé.

Bon dimanche,

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