Embrasser l’intime et dire le monde. En raconter les imbrications. Le tout dans une langue magistrale, forte, et pleine d’intelligence et de pudeur. C’est la prouesse que réussit Bernhard Schlink dans son dernier roman : “La petite fille”. Dans ce roman, Schlink raconte l’Allemagne d’hier, celle où le pays était deux avec la RFA et la RDA, puis celle de la réunification et enfin celle d’aujourd’hui. Il y a Kaspar, libraire bobo de Berlin qui aime une femme : Birgit. Un soir, alors qu’il revient de la librairie, elle s’est suicidée. Endeuillé Kaspar, sous l’impulsion de l’éditeur de son épouse, plonge dans les carnets et dans les écrits de Birgit qui refusait qu’il les lise. Sa lecture l’emporte dans les années 60-70. En RDA. Au moment où il est tombé amoureux de Birgit. Il apprend que pour fuir l’Allemagne communiste et vivre son amour avec lui, elle a abandonné un nourrison. Birgit rêvait de la retrouver. Cette fille, Svenja a eu une fille aussi. Sigrun, qui a 14 ans.
Une littérature gracieuse
Bouleversé, Kaspar décide de tout mettre en œuvre pour retrouver les deux femmes. Retrouvailles qui auront lieu. L’histoire qui se répète. Extrême droite. Complotisme. Fantômes d’un pays. Impossibilité du dialogue. La langue de Schlink – comme dans son magistral Le Liseur dont nous vous avions fait la lecture ici – explore l’intime. Les doutes, les peurs, les rêves des personnages, mais aussi l’extime c’est-à-dire les gravités du monde, les impossibilités de réparation, les rendez-vous manqués, les retrouvailles impossibles etc. Schlink signe un roman superbe, de facture classique, mais rempli d’une grâce réelle. “Il aurait voulu pleurer” écrit-il à propos de Kaspar. C’est le lecteur qui pleure à sa place et ressort de ce livre rempli de quelque chose en plus. Quelque chose d’imperceptible : ce qui fait que la littérature est littérature, cette impression d’avoir vécu la vie des personnages et d’en avoir tiré pour soi des enseignements par la grâce de l’expérience sensible.
“La petite fille”, B. Schlink, Gallimard