Ce mois-ci Tanguy Leclerc a répondu à l'appel du large en se plongeant dans l'essai de Corinne Morel Darleux, "Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce". Une formule terriblement séduisante, porte d'entrée d'un ouvrage qui interroge chacun sur la sincérité de ses engagements face à l'effondrement qui nous guette. L'autrice propose un sursaut de conscience en convoquant le navigateur Bernard Moitessier, Romain Gary et Pasolini. Vivifiant !
Il n’est pas utile d’avoir le pied marin pour se rendre compte que notre existence s’apparente en bien des points à une expérience de navigation. Quel que soit le cap que nous nous fixons, chacun d’entre nous est soumis aux aléas de la vie, pris dans une houle qui, invariablement, nous jette tantôt au creux de la vague, tantôt à son sommet. Les vents contraires succèdent aux vents portants, les tempêtes aux accalmies, le mal de mer à l’euphorie… Le tout dans un mouvement perpétuel.
À l’échelle de l’humanité, nous sommes aujourd’hui embarqués sur un bateau qui prend l’eau. Nous avons beau écoper, le naufrage nous guette. L’effondrement de notre civilisation industrielle n’est plus du domaine du fantasme. Depuis 1972 et la publication par le Club de Rome du rapport "The limits of growth" ("Les limites de la croissance"), devenu célèbre sous le nom de « Rapport Meadows », le courant nous entraîne vers un avenir de plus en plus incertain. "Notre société déborde de trop-plein, obscène et obèse, sous les regards de ceux qui crèvent de faim. Elle est en train de s’effondrer sous son propre poids", écrit Corinne Morel Darleux en introduction de "Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ". Un petit livre d’à peine cent pages qui ne paye pas de mine, mais dont le titre suffit à vous laisser prendre dans son filet. La formule est si séduisante que j’y ai succombé, guidé par la curiosité.
Bien m’en a pris. Car c’est par une voie singulière que l’autrice nous livre ses réflexions sur l’effondrement dans cet essai philosophique et littéraire rédigé à la première personne. Ce n’est pas pour rien que la silhouette d’un voilier est dessinée sur la couverture de l’ouvrage. La militante écosocialiste questionne en effet notre quotidien en convoquant le navigateur Bernard Moitessier. L’homme qui, en 1969, au sud de l’océan Atlantique, alors qu’il était sur le point de remporter la première course de voile en solitaire et sans escale autour du monde, a préféré renoncer et poursuivre son périple vers les îles du Pacifique, "parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme ", écrivit-il dans un message catapulté à l’aide d’un lance-pierre sur un cargo qui croisait sa route. (Le navigateur avait refusé d’embarquer une radio à bord de son bateau).
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